Les Obrecht / Les Hild / Les Schmitt / Les Obrecht-Schmitt
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Quand on allait pieds nus à l'école
Dès le
début, le demi-litre officiel était insuffisant
pour
quatre personnes dont un enfant. Jusque novembre 1915 il
était
possible d’acheter librement le surplus éventuel,
mais
cette possibilité disparaît quand il y a tout
juste assez
de lait pour les mères prioritaires, auxquelles il arrive de
se
battre à coups de bidons dans la file d’attente.
Il faut
alors se «débrouiller».
En
complément du lait
obtenu auprès du débit officiel, on a recours aux
services d’un élève qui en apporte
chaque jour du
Moenchsberg, mais bien entendu il est plus cher (0,30 Marks) et il faut
rétribuer le transport (0,10 Marks), ou alors il faut le
chercher soi-même à Riedisheim. Les prix
augmentent
régulièrement et le prix officiel atteint 0,70
Marks en
août 1917. A partir d’octobre 1917 un voisin du 10
de la rue de Strasbourg, ce
Wermelinger dont Jean s'était porté garant,
fournit quotidiennement 2 litres, à 1,10 Marks le
litre, qui viennent compléter le demi-litre de la ville.
L’importance de la denrée se mesure au fait que
les
quantités obtenues sont régulièrement
reportées dans le journal de Jean. En mars 1918, celui-ci
est
surpris par un inspecteur de l’office du lait lors
d’une de
ces transactions et pense que son fournisseur a
été
«trahi». On ne sait quelles ont
été les
suites pour l’un et pour l’autre, mais la
quantité
de lait achetée reste constante, ce qui semble indiquer
qu’une nouvelle source a été
trouvée - mais
à 1,50 Marks le litre.
Les séjours de vacances à Andolsheim
sont au
contraire l’occasion d’orgies laitières,
Jean
obtenant entre 2 et 5 litres par jour. Ces quantités peuvent
paraître démesurées, mais le lait est
destiné à fournir les protéines que la
viande -
sévèrement rationnée -
n’apporte plus.
Le lait n’est qu’un exemple; le rationnement
concerne
l’ensemble des produits de première
nécessité. Pain, viande, pommes de terre,
vêtements sont distribués par des offices
municipaux,
et Jeanne, la fille de Jean Obrecht, fait ainsi, un jour, cinq heures
de queue pour
acheter
du beurre et des oeufs. Comme le remarque son père en bon
Alsacien:
«Il
y a du chou tant qu’on en veut, mais ce qui manque
c’est le
lard» [Kraut ist im Überfluss aber der Speck fehlt].
Sur le
marché libre les denrées sont rares et hors de
prix. Avec
la pénurie
la qualité baisse, et le pain,
composé
d’ingrédients indéfinissables, cause
des maux
d’estomac. L’autarcie s’installe: Jeanne
suit un
cours de fabrication de chaussures et Jean, malgré son
salaire
augmenté d’une indemnité de vie
chère, s’essaie à fabriquer du
fromage, à
faire du vin; il moud du grain et surtout cultive le jardin que
l’école met à sa disposition.
L’été, il pêche
régulièrement
dans le canal,
mais revient en général bredouille, comme
d’ailleurs d’une unique chasse au lapin. La
municipalité de Mulhouse ayant offert pour Noël
1917 une
oie à chaque famille et transformé la ville en
une
immense basse-cour, il se renseigne sur le gavage. Puis, prenant
goût à la chose, il rapporte d'Andolsheim une
nouvelle oie et des jeunes canards qu'on installe dans
l'arrière-cour et dont on surveille anxieusement la
santé. Ces
compléments ne compensent pourtant pas la pénurie
générale et, un jour de juillet 1918, le
grand-père se contente d’une pomme de terre au
déjeuner pour ne pas priver sa petite-fille.
Seuls les
séjours à Andolsheim permettent à la
famille de
manger à sa faim et de faire des réserves,
envoyées par train à Mulhouse (2 quintaux de
pommes, 40 livres de poires et 20 livres de prunes en
août
1917). Quand Salomé son épouse ou Jeanne sa fille
reviennent de leurs visites à la parenté de
Colmar
et environs, elles ont les bras chargés de paniers de
victuailles. Quant aux élèves,
en
général moins favorisés, il leur est
recommandé de venir pieds nus à
l’école en
été afin d’économiser leurs
chaussures pour
l’hiver. On leur sert une soupe en milieu de
matinée, car
certains vont en classe à jeun. Quelques
élèves travaillent par
demi-journée chez des paysans. Dans cette
économie de
pénurie on les incite à collecter les cheveux de
femme et
les vieux papiers, tandis qu'on recommande aux instituteurs
d'économiser les cahiers.