Les
Obrecht / Les Hild / Les
Schmitt / Les Obrecht-Schmitt
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Pendant
ce temps en Alsace
Comme Oppligen pour le
côté paternel, le village d'Andolsheim est le
berceau de la famille du côté maternel. Les deux
localités sont de taille comparable (2232 habitants en 2011
pour
Andolsheim), ont eu une même vocation agricole et, du point
de
vue généalogique, une tendance similaire
à
l'endogamie qui rend les recherches plus complexes par l'imbrication
des familles. Andolsheim se situe au coeur de la plaine d'Alsace,
à quelques kilomètres à l'est de
Colmar. Comme son
homologue helvétique le bourg perd peu à peu son
caractère rural pour devenir une banlieue
résidentielle
de la ville proche. Le canton dont Andolsheim est le chef-lieu a
d'ailleurs le plus fort taux de progression démographique du
Haut-Rhin. Le noyau central du village a cependant gardé son
caractère ancien, avec ses maisons
typiques à colombages (dont certaines peut-être
construites par notre ancêtre maçon) et avec son église au
clocher couronné d'un nid de cigogne. Lieu de culte
"simultané" pendant deux siècles,
l'église a
été réservée aux
protestants, alors encore
majoritaires, après la construction de l'église
catholique St-Georges en 1884. Lors d'une récente rénovation
intérieure l'église a perdu ses anciens fonts
baptismaux,
mais conserve une aiguière et un calice de baptême
qui ont pu servir pour nos ancêtres; son orgue
du XVIIIe a été restauré en 1980. Le
clocher surplombe
le
cimetière où repose la lignée
maternelle de la
famille, et depuis peu Jean et Jeanne Krebs.
La migration
familiale
s'effectue ici aussi à la
fin du XIXe siècle, dans le cadre de l'exode rural et de la
promotion sociale, avec Jean
Obrecht,
instituteur à Horbourg. Le mariage de sa fille avec Alfred
Schmitt, employé administratif promis à un
brillant
avenir, a accentué ce détachement des origines
rurales.
Le lien avec le village reste pourtant préservé
assez
longtemps à travers une vaste et vague parentèle
et un
sentiment d'appartenance entretenu par de
fréquentes
visites. Les derniers aïeux encore nés à
Andolsheim
au milieu du XIXe siècle, Jean Obrecht et son
épouse,
décèdent tous deux à Mulhouse, mais
sont
néanmoins inhumés au village d'origine.
Cette ville - Mulhouse
- apparaît donc comme le point de rencontre de deux familles
de
l'aire alémanique, l'une venant du nord (Andolsheim),
l'autre du
sud-est helvétique (Oppligen). Le dialecte alsacien ou
suisse a
été
la langue véhiculaire, l'allemand la langue scolaire, et si
le
français s'est imposé en Alsace à
partir de
1918,
malgré la parenthèse de 1940-45, toute la
génération née autour de 1900 a encore
baigné dans une culture germanique. Les sentiments nationaux
ont
été ambivalents, et si l'attachement à
la France
semble prédominer, il est accompagné du regret de
l'ordre
qui régnait "du temps des Allemands". Le protestantisme a
également forgé les caractères et les
comportements. Ce mélange des cultures,
spécifique
à l'Alsace, a encore imprégné l'esprit
familial
durant une grande partie du XXe siècle avant de se fondre
progressivement dans un nouvel environnement.
****
Du point de vue
généalogique,
dans la perspective du couple de
Jean et Jeanne, notre ascendance
maternelle se partage entre les
familles des parents de Jeanne: Alfred Schmitt
et Johanna/Jeanne
Obrecht. Comme il s'agit ici de lignée
maternelle on
commencera par le tableau des Obrecht.
Ce patronyme,
assez courant en Alsace,
est une dérivation de Albrecht/Adalbrecht, nom
formé de
deux racines germaniques: «adel/adal» [noble] et
«brecht» [brillant, magnifique,
célèbre]. Le
nom est couramment donné au Moyen-Âge en
l’honneur
de Adalbert de Prague, archevêque tué en 997 en
tentant de
convertir les Prussiens. A signaler qu'un André Obrecht -
étranger à la famille! - a
été l'avant-dernier bourreau officiant en France.
En
raison
des multiples cousinages
croisés de la microsociété
villageoise,
il est parfois
difficile de
débrouiller les liens de parenté existant entre
les
différentes personnes répondant à ce
nom. L'état civil se contente d'ailleurs parfois prudemment
de
définir un témoin comme simplement
"allié"
à la famille.
Comme de plus les mêmes prénoms
traditionnels sont
repris
génération après
génération, il arrive que coexistent trois
homonymes
distingués par un surnom: "le jeune", "le milieu", "le
vieux".
Tout en restant les mêmes, ces
prénoms se modifient avec les vicissitudes de
l'Histoire, prenant alternativement des formes allemandes ou
françaises: Andreas/André,
Salomea/Salomé,
Barbara/Barbe, etc. Cette adaptation linguistique peut même
s'étendre jusqu'au patronyme: une Madeleine Baumertz devient
sur sa pierre tombale Baumert, un nom à consonance plus
française; une famille Marschalk est rebaptisée
Maréchal. Dans les registres d'état civil il est
fréquent qu'un même individu soit par exemple
baptisé Jacques, qu'il se marie en tant que Jakob et
retrouve
son prénom originel dans son acte de
décès.
Les
registres paroissiaux protestants d'Andolsheim sont
tenus par les pasteurs, en allemand, à partir du 20 octobre 1560 pour
les naissances (Taufbuch),
soit environ une
génération
après la conversion du comté de Horbourg
à la Réforme en 1534 sous la houlette du
suzerain, le duc
de Wurtemberg; ils
commencent quelques années
plus tard pour les mariages et les décès.
Parallèlement la petite communauté catholique
rédige ses propres registres en latin. On note une
interruption entre 1633 et 1643, durant la pire
décennie de
la guerre de Trente Ans lorsque Impériaux et
Franco-Suédois dévastent tour à tour
l'Alsace. Les
villageois des
alentours se réfugient à Colmar et l'on voit
apparaître dans les registres de cette ville des Obrecht,
Marschalk, Rebert, Horrenberger originaires d'"Ansolfsheim" (de
l'ancien "Ansuolfsheim"), Horbourg, Wihr, Muntzenheim ou encore
Sundhoffen (pillé et
brûlé en 1633). Ils
y côtoient d'autres nouveaux venus: les soldats des diverses
garnisons
qui épousent volontiers des Colmariennes. Cet accueil des
réfugiés des campagnes n'était qu'un
juste retour.
En 1628
l'empereur Ferdinand II avait chassé de la cité
les
protestants qui avaient alors vraisemblablement trouvé
refuge
dans les
villages
des environs. Cette "tyrannische Persecution" avait duré
jusqu'à l'entrée du général
suédois
Gustav Horn dans Colmar en décembre 1632. Dans l'intervalle
ce
sont les
registres protestants de la ville qui s'étaient interrompus
de
mars 1628 à janvier 1633.
Avec la Révolution
l'état civil devient de
la responsabilité du maire, mais continue à
être
rédigé en allemand jusqu'au mois de brumaire de
l'an XIII
[octobre/novembre 1804],
date
à laquelle on trouve un premier acte de naissance en
français. Le passage d'une langue à l'autre n'est
pas
sans poser quelques problèmes. Alors que la
rédaction des
actes en allemand était effectuée par le maire,
c'est le
"ministre du culte protestant" qui se charge de la rédaction
en
français, le maire se contentant d'apposer sa signature. Par
la
suite c'est l'instituteur protestant qui fera pendant un certain temps
office de secrétaire. En 1850 encore il est noté
qu'un
acte de mariage a été traduit oralement en
allemand pour
les parties présentes. Les registres
repasseront ensuite par deux fois à la langue allemande. On
tâchera en règle générale de
conserver à chacun le prénom -
français ou allemand - reçu lors du
baptême.
D'autres changements sont amenés par la
Révolution, qui
bousculent les habitudes. C'est l'introduction du calendrier
républicain
à partir de 1793. Jusque ventôse de l'an VII
(févier/mars 1799) la
date est également indiquée en "ancien style" et
au
début de l'an XIV, soit l'"an 1806 de la naissance
de Notre
Seigneur" - comme
note le greffier avec une certaine satisfaction - on revient au
calendrier traditionnel. La loi du 20 septembre 1792 autorise le
divorce et dès le 23 frimaire An III un premier
procès-verbal de divorce apparaît, en
français,
parmi les actes de mariage en allemand. Il est prononcé
"pour
cause d'incompatibilté d'humeur et de caractère".
D'autres guerres que les querelles
ménagères laissent aussi
leur trace. Un
André Obrecht, entré au service militaire en
1808, est
fait prisonnier par les Espagnols en novembre 1810 et est
porté
disparu depuis. En 1836 des extraits d'actes de
décès
proviennent des hôpitaux militaires d'Oran et Blida: il
s'agit
des victimes de maladie de l'armée d'Afrique lors de la
conquête de l'Algérie. Un lointain parent,
André
Hild, du 62e régiment d'infanterie,
décède de
"diarrhée chronique" à Oran le 14 octobre 1836.
En 1854
des décès similaires sont signalés de
Gallipoli et
Constantinople lors de la guerre de Crimée. En revanche la
guerre franco-prussienne de 1870 n'a pas laissé de trace
dans
l'état civil d'Andolsheim. Des drames individuels
trouvent également un écho avec
l'enregistrement, au cours du XIXe siècle, de deux suicides
dans
la forêt du Kastenwald, ainsi que de deux cadavres
trouvés
dans un champ et au bord de l'Ill. En 1857 Jean Hild
décède à la Centrale d'Ensisheim
où il
était détenu pour une raison qui nous est
inconnue.
Les registres paroissiaux d'Andolsheim permettent de remonter la lignée de nos ancêtres Obrecht jusqu'au mariage de Lorentz/Lentz Obrecht et Martha Schlegel le 31 mai 1573.
Tous deux sont nés avant l'existence d'un registre: c'est donc
à un âge inconnu que Lorentz décède en 1611
et son épouse l'année suivante. Le couple a eu 13 enfants
dont plusieurs sont morts en bas âge. C'est ainsi que Jacob,
par qui se poursuit notre lignée, est le troisième enfant
de la fratrie à porter ce même prénom.
Acte de mariage de Lentz Obrecht et Martha Schlegel
Jacob Obrecht naît en 1588.
Les actes du registre le désignent comme "Schaffner",
c'est-à-dire prévôt ou intendant. En tant que tel
il représente la puissance tutélaire du suzerain, en
l'occurrence la maison de Wurtemberg. Cette fonction le range parmi les
notables de la communauté et ce statut de la famille trouvera
son prolongement en son fils et son petit-fils qui seront tous deux
"Chorrichter", membre du "Chorgericht", l'institution gardienne de la
paix civile et de la moralité publique (on a vu que la
même institution existait à Oppligen en Suisse à
cette époque). Jacob épouse en 1612 Suzanna Dietrich,
originaire de Bischwihr; ils auront six enfants, dont
l'aîné Johannes/Hanns dit "le jeune", né en 1613,
continue notre lignée. Lorsque celui-ci meurt en 1685 à 72 ans, un âge respectable pour l'époque, il est devenu Hanns "le vieux", membre du tribunal [dess Gerichts]. C'est à Colmar, et non au village, qu'il a épousé en 1654 Anna Baltzinger,
de Sundhoffen, ce qui peut être le signe d'une volonté de
distinction Il est père de dix enfants, dont Johann Jacob
qui réunit les prénoms de son père et de son
grand-père.
Johann Jacob Obrecht, né en 1658 comme troisième enfant du couple, épouse en 1687 Catharina Marschalk
qui porte l'autre nom le plus répandu dans la communauté
villageoise. L'enterrement de son épouse,
décédée en février 1708 alors
que le village est envahi par les eaux, est suffisamment
mouvementé pour que le pasteur en fasse la relation dramatique
dans le registre. Devenu veuf, Johann Jacob se remarie sept ans plus
tard avec
une veuve déjà âgée. Il décède
en 1726 à
l'âge de 68 ans, fauché par une de ces
épidémies favorisées par les chaleurs de
l'été. Quelques jours auparavant on notait le
décès de la fillette d'un valet de ferme suisse qui
logeait précisément chez Johann Jacob.
La fonction de "Chorrichter", que Johann Jacob
hérite de son père, inclut à la fois
moralité, notoriété et un certain niveau social:
on peut supposer que la famille vit alors du revenu de terres mises en
fermage ou cultivées par des employés, valets à
demeure, journaliers ou saisonniers. Ces ouvriers agricoles sont
assez souvent suisses et parfois calvinistes, comme le note le pasteur
luthérien dans son registre. Ainsi en juillet 1715 un
moissonneur de cette nationalité décède dans un
appentis appartenant à Andreas Obrecht, le forgeron.
Ce n'est qu'à la génération suivante,
précisément avec Andreas,
qu'apparaît chez les Obrecht la notion de "métier".