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  Guillaume II


Les Obrecht / Les Hild / Les Schmitt / Les Obrecht-Schmitt

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Les moustaches impériales

Il faut pourtant attendre la dernière ligne des Kriegserlebnisse pour trouver chez Jean Obrecht une critique de caractère politique qui vienne troubler son quiétisme congénital. Voyant le sort réservé aux «Allemands de souche», il émet ce jugement  qu’inconsciemment il semble étendre au contenu des 800 pages qui précèdent, aux souffrances des vivants et des morts: «Ils doivent leur triste sort aux ‘200 familles’ de la haute société»] [Ihr trauriges Los haben sie den oberen Zehntausend zu verdanken»].

       Quant à la vie quotidienne de la cité, elle est caractérisée, au-delà de multiples aspects de détail, par deux modes de contrainte: sur le plan idéologique, la police des consciences et des moeurs, sur le plan matériel, la pénurie du ravitaillement.

       La population est sous la surveillance d’une hiérarchie de pouvoirs qui s’étagent de l’agent de police du quartier à l'empereur. Au niveau suprême, le Kaiser affirme sa présence tutélaire en visitant cette ville, symbole de la Germanie menacée. Toutefois les circonstances ne se prêtent pas aux manifestations de liesse populaire. Il n'est pas question de défilé triomphal, surtout dans cette province toujours un peu suspecte. L'empereur veut donner l'image d'un chef de guerre déterminé, conscient de la gravité de l'heure et de ses responsabilités militaires. Ainsi la rumeur publique signale trois fois en 1915 sa présence aux armées aux environs de Mulhouse. Seule la visite du 23 septembre 1915 est officiellement confirmée: il a passé les troupes en revue à Pulversheim, tandis que 40 avions - dit-on - croisaient dans le ciel pour garantir sa sécurité. En juin 1917 il se rendra, toujours en tournée d'inspection, à Habsheim, le terrain d'aviation stratégique de la région.

    Les deux passages du Kronprinz, les visites des altesses princières du voisinage, le grand-duc de Bade et le roi du Wurtemberg, présentent le même aspect d'efficacité et de simplicité. La visite officielle à Mulhouse de l'altesse impériale, accompagnée du prince héritier, se déroule sans faste le 13 décembre 1916: arrivée en train, accueil à la gare par la municipalité et les vivats d’une petite foule enthousiaste, et le cortège disparaît en automobile. Le scepticisme populaire s’exprime par ce jugement d’un conducteur de tram: «Il y a des Mulhousiens qui sont plus prussiens que le Kaiser lui-même!» [Es gibt manche Mülhäuser, die sind preussischer als der Kaiser selbst!]. Quant aux visites des ministres de la guerre - Falkenhayn en 1914 et Hindenburg en 1918 - elles ont un caractère technique et se résument tout au plus à une parade militaire place Vauban.

     Le Kaiser passe les troupes en revue aux environs de Mulhouse le 23/09/1915  


    Quand les princes ne sont pas physiquement présents, ils le sont symboliquement par la célébration des anniversaires pour lesquels on pavoise la ville et auxquels on associe les écoles: anniversaire de l’empereur le 26 janvier, de Hindenburg le 2 octobre, ou encore commémoration du 100e anniversaire de la naissance de Bismarck le 31 mars 1915, ou des 500 ans de règne de la dynastie des Hohenzollern le 21 octobre 1915. La presse, dont les Kriegserlebnisse citent journellement des extraits, exalte la moindre victoire qui est l’occasion de pavoiser et d’octroyer un jour de congé aux élèves. Cela se traduit par des chiffres impressionnants d’ennemis faits prisonniers, d’avions abattus, de mètres de tranchées perdus, mais immédiatement reconquis. Enfin, le souverain est présent par son image: Alfred Schmitt, le gendre de Jean Obrecht, se fait envoyer au front - sur ordre? - un portrait de Guillaume II.

       La police et la justice exercent le contrôle pratique de la fidélité patriotique de la population. Toute manifestation, même en privé, d’une opinion défavorable à l’Allemagne («deutschfeindliche Gesinnung») est sanctionnée par une peine de prison ferme. Il suffit même d’enfreindre l’interdiction de parler français, comme la fille du pasteur Stern en fait l’expérience: deux mois de prison en novembre 1915. Son père sera d’ailleurs interdit de prêche peu après, l'enquête ayant établi que toute la famille était contaminée par des sentiments pro-français. Jean Obrecht est ainsi amené à signer une attestation pour un voisin, Wermelinger, spécifiant que celui-ci n'a jamais manifesté, "ni par ses paroles, ni par ses actes" une opinion anti-allemande. Cette inquisition s’immisce jusque dans la sphère privée par le biais des dénonciations: un collègue instituteur est condamné en juillet 1918 pour avoir dénigré l’Allemagne dans une lettre. La cour martiale s’occupe, par ses jugements expéditifs, des personnes soupçonnées d’espionnage. Il existe aussi une police secrète de l’armée: Jean Obrecht en fait l’expérience quand un sbire vient lui demander s’il connaît un certain Obrecht, directeur d’usine à Altkirch. La simple homonymie le rend potentiellement suspect.