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Le jardin zoologique

Les Obrecht / Les Hild / Les Schmitt / Les Obrecht-Schmitt

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Une existence rationnée

Le contrôle de la population s’exerce plus communément par une surveillance de détail. Visite du commissaire avant la promotion d’Alfred Schmitt comme officier; apposition d’une affiche jaune interdisant la maison à tout militaire lors de la scarlatine de la petite Hansi; enquête lors de l’absence non signalée de celle-ci, partie avec ses parents à Andolsheim. Un inspecteur du lait constate devant Jean un flagrant délit de vente au marché noir; un inspecteur des impôts a tôt fait de repérer les plants de tabac qu’il a subrepticement semés dans le jardin de l’école. Enfin tout déplacement hors de la circonscription demande une double autorisation, longue à obtenir, passant par le commissariat ("III. Polizeirevier") et la sous-préfecture ("Kreisdirektion") pour les passeports et, pour les permis de circuler, par le commandement militaire à Karlsruhe ("Generalkommando des XII. Armeekorps"). Par la suite il semble que l'affaire ait pu être traitée à l'échelon local par le bureau spécial ("Durchlassamt") de la Kommandantur installé à l'Hôtel Central de Mulhouse, sans d'ailleurs que la procédure en soit accélérée pour autant. Après l'Armistice le Mülhauser Tagblatt (22/11/1918) se fera l'écho du soulagement de la population pouvant à nouveau voyager sans avoir à "mendier", des semaines auparavant, une autorisation qui, d'ailleurs, était généralement refusée.

       Le second aspect de la surveillance pèse sur les moeurs. Dans ce cas, il s’agit d’une surveillance sociale par le regard de l’autre. Les liens de la morale sexuelle avec la germanicité ne sont pas directement exprimés, mais sous-jacents: un patriote doit être sans reproche sur tous les plans. Quand, en mars 1917, le cordonnier Futsch est condamné à 4 semaines de prison, sans doute pour opinions subversives, sa fille écope de 3 jours pour «conduite inconvenante». Ont été témoins à charge un agent de police et l’instituteur Jaegle, connu pour son chauvinisme qui l’avait fait congédier en août 1914 par les Français. La famille Obrecht, imprégnée de moralisme protestant, est ici en phase avec ce genre d’espionnage. Jeanne Obrecht-Schmitt, la fille de Jean, menace de dénoncer une voisine - pourtant séparée de son mari - qui a reçu pour la nuit un soldat chez elle. Faut-il voir l'effet d'une vengeance dans un incident cocasse: un beau jour un soldat sonne à la porte et demande à voir les filles, car on lui a indiqué l'adresse des Obrecht comme étant celle d'une maison de passe. On essaie d'ailleurs d'étendre aux militaires cette pression religieuse et morale et, un dimanche de mars 1916, c'est tout un régiment, le 79e, qui investit l'église Saint-Paul pour assister au culte. Mais à partir de 1917 les interdits commencent à s’effriter sous l’influence du conflit et Jean a maintes fois l’occasion d’exprimer sa réprobation à la vue des dames de petite vertu, surtout lorsqu’elles s’affichent avec des officiers. Les concerts du dimanche au jardin zoologique sont pour lui une source de remarques scandalisées sur le «dévergondage inouï» des demi-mondaines. Il en appelle à l’ «honneur» de ces messieurs les officiers qui fréquentent ces filles sans moralité.

       Faut-il voir, derrière l’austérité affichée, la traduction inconsciente d’une secrète envie dans cette évocation étrangement poétique d’une fille avinée sortant d’un des nombreux débits de boissons tenus à l‘époque par des Espagnols: «Une jeune femme, qui sortait de chez l’Espagnol de la Spinnestrasse, étincelait comme une perle rouge » [Eine junge Frau, die aus der Spanischen in der Spinnestrasse (Spinnereistrasse -  Spinn'rstrasse en dialecte) kam, funkelte wie eine rote Perle]. On laissera la question en suspens.

    Le problème le plus concret auquel la population civile est confrontée quotidiennement est celui du ravitaillement. La pénurie se manifeste assez vite après le début des hostilités et concerne l’ensemble des denrées comestibles. On s’attachera principalement à l’une d’elle: le lait. Dans une famille avec un jeune enfant il s’agit d’une denrée de première nécessité; par ailleurs la perspective de Jean Obrecht, celle du client, vient compléter celle de Hans/Jean Krebs qui, à la même époque, exerce le métier de laitier à Mulhouse.

       Durant la «bataille de Mulhouse» la collecte est naturellement interrompue. Dès le calme revenu, le 27 août, Jean part en expédition pour chercher du lait directement chez les paysans, d’abord à Bourztwiller, sans succès, puis à Zimmersheim. Le rationnement vient en fait d’être  instauré par attribution d’une carte de priorité aux mères de jeunes enfants; le même jour Jean va donc s’en faire établir une à la mairie pour sa fille dont la fillette - "Hansi" - a alors deux ans. La démarche est doublement pénible: il se retrouve au milieu d’une cohue de mères, des enfants hurlant dans leurs bras, et devant un chef de bureau, un certain Menzer, ancien scribouillard chez un avocat, qui masque son incompétence en insultant les usagers. Notre instituteur, très conscient de sa dignité sociale, supporte mal ce genre de situation. Il faut malheureusement renouveler régulièrement la carte et la corvée qu’elle implique, et, retournant en décembre au bureau n° 10, il doit subir une nouvelle algarade de ce Menzer. La carte donne droit à un demi-litre à prix fixé (0,25 Marks) par enfant jusqu’à 6 ans. Hansi, malade, aura droit à un litre en novembre 1917 sur ordonnance médicale, mais perdra tout droit prioritaire au 16 avril 1918, le jour de ses 6 ans.

 


Hôtel central