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un sourire lointain

le camarade de Lignières


Les Obrecht / Les Hild / Les Schmitt / Les Obrecht-Schmitt

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Une dernière carte et une prière

On peut seulement présumer que le régiment d’Alfred, stationné en Champagne au printemps 1918, a participé aux combats du Chemin des Dames qui ont permis aux Allemands, le 27 mai 1918, de percer le front français, de traverser la Marne et d’avancer jusque Château-Thierry. On est sûr, en revanche, de son engagement dans les combats qui ont repris autour de Montdidier au mois de juin. Ludendorff lance en effet un deuxième assaut dans le secteur de la Somme, le 9 juin à minuit, sur un front de 40 kms entre Noyon et Montdidier. Après cinq jours de combats - la «bataille du Matz» - les belligérants sont épuisés et les lignes se fixent, avec un léger recul français, un peu au sud de Montdidier. Ensuite le front se calme et ce sont les habituels accrochages et tirs d’artillerie dont l’un sera fatal à Alfred.

       Ces combats ont un double résultat: d’une part Alfred est décoré à cette occasion de la croix de fer de 1ère classe qui vient compléter celle de 2e classe, obtenue à une date indéterminée; d’autre part, moins glorieusement, il annonce avoir rapporté comme butin un manteau et des chaussures - perdues ou volées depuis. Cet aveu est caractéristique d’un changement notable de mentalité chez ce protestant, officier valeureux, qui aurait certainement fait un fonctionnaire intègre. Il avait renvoyé auparavant un manteau usagé à Mulhouse et exprimé le désir d’un «manteau anglais». Les habitudes de pillage, favorisées par la pénurie, se sont répandues jusqu’à l’échelon des officiers. Par une ironie du sort, on lui enverra de Mulhouse, le 22 juillet, le manteau tant désiré, alors que la nouvelle de sa mort, survenue dix jours auparavant, n’est pas encore parvenue à la famille.

        Deux témoignages attestent la participation d’Alfred aux combats de Montdidier. Le premier, particulièrement émouvant, émane d’un camarade photographié dans une courette; la dédicace de la photo: «Meinem lieben Kriegskameraden Schmitt zur Erinnerung an die Kämpfe bei Montdidier in treuer Kameradschaft gewidmet » [A mon cher camarade de guerre Schmitt en souvenir des combats de Montdidier en témoignage de fidèle camaraderie]; le lieu: le hameau de Lignières, à quelques kilomètres au nord-est de Montdidier; la date: 30 juin 1918, moins de deux semaines avant le décès. L’autre témoignage est la lettre de condoléances du commandant du régiment qui évoquera la participation d’Alfred à des combats en juin.

      C‘est dans cette période, avant le déclenchement de l’offensive du Matz, que le père envoie, le 4 juin 1918, à sa fillette une carte postale (des chatons), dernier document de sa main qu’on ait conservé. Il a reçu cette année-là une prière que sa fille a calligraphiée sur une page de cahier d’écolier et qu’elle ne peut avoir rédigée que vers six ans, c’est-à-dire en 1918: «Herr, Unser Gott, wir alle wünschen sehr, dass in der Welt bald Friede wär...» [Seigneur Dieu, nous souhaitons tous que la paix règne bientôt sur terre...].

      Il n’y a eu, durant ces quatre interminables années, que quelques trop rares permissions: cinq en tout, soit onze semaines. On a gardé la trace matérielle de deux d’entre elles. L’une, valable du 26 juillet au 15 août 1917, est établie à Goldap (Prusse orientale) pour Mulhouse et Colmar. Le document a été visé au poste de contrôle de Ribeauvillé et le permissionnaire s’est annoncé à Mulhouse le 28 juillet. La permission porte aussi les tampons des offices mulhousiens du pain et de la viande («Mehlamt», «Fleischamt») pour la période considérée. La deuxième a été établie «Im Felde» [Au front] pour la période du 13 au 27 février 1918. Le permissionnaire a été contrôlé à Ribeauvillé et Marckolsheim; arrivé le 14, il ne s’est apparemment manifesté à la Kommandantur que le 23 février, lorsque - depuis Horbourg - il fait un saut à Mulhouse pour ramener Hansi. On est tenté de voir dans cette éventuelle négligence un signe du mépris grandissant des soldats du front pour les «planqués» de l’arrière. Cette permission a été l’occasion des ultimes retrouvailles d’Alfred avec sa famille.

      De ces années il reste également quelques portraits comme cette photo de studio de juillet 1916: Alfred, en grand uniforme aux côtés de Jeanne et de Hansi, ou encore - plus familièrement - assis sur un banc dans un parc en juin 1917, en tenue militaire de ville: casquette plate, pantalons à sous-pieds, main droite posée sur son épée d’officier. Toujours, il affiche le même sourire un peu lointain de ses yeux rêveurs.