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Les ancêtres / A l’aube du souvenir
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Robert, le second, suit le premier
Robert Alexander Krebs
naît
le 24 août 1911
à Mulhouse.
Comme ses
frères et sa
soeur, «Robi» a
été photographié par
le studio Adam de Mulhouse, vers six mois, sur une peau
d’ours,
puis à l’âge d’un an et demi
environ,
curieusement habillé en petite fille. Une photographie
maintes fois
reproduite (en particulier sur un tissu de soie) le montre adolescent
avec sa soeur Xénia et leur chien; sur une variante
Schimmeli,
le cheval, prend la place du chien
comme animal familier. Si l'on en croit sa carte d'identité, Robert avait les yeux verts.
Robert est un épistolier régulier et scrupuleux.
Ses
cartes postales rendent compte de ses déplacements et des
anniversaires souhaités.
Les
premières sont envoyées à la famille
lors
d'excursions dans les Vosges entre 1925 et 1934: Freundstein, Hohneck,
Lac Noir, Saint-Dié. A l'époque, et contrairement
à son frère aîné Jean, il
fréquente le Lycée
de garçons de Mulhouse (Gymnase). Elève en 4e A2 il reçoit un prix lors
de la
distribution au Casino en juillet 1925 et ses
parents
règlent, en mars 1927, le premier terme de sa
scolarité en 2e C (180,50F). On s'est donc
décidé à son égard pour des
études secondaires longues dans ce Lycée
classique qui a pris la
suite du "Gymnasium" bâti par les Allemands en 1882 à
côté de l'ancien collège municipal
(Grand'rue).
On
possède trois
photographies de classe de Robert, dont une de l'année 1928-29, en
math-élém, qui le montre avec le censeur et le Professeur Papillon -
moustachu - parmi une dizaine d'élèves aux
costumes et aux visages d'adultes. De son côté il
reçoit aussi des cartes d'amis, en particulier d'un certain
J.
Schlumberger qui annonce entrer à Saint-Cyr en octobre 1930.
Pour Robert aussi les études secondaires se terminent. Une
camarade de classe en vacances au Struthof (futur camp de
concentration, mais pour le moment un "beau petit coin d'Alsace") fait
allusion, en août 1929, à un examen que Robert
vient de
passer. Il s'agit d'un "certificat
d'aptitude
obtenu le 5 juillet 1929
devant la faculté de Strasbourg", sur la base duquel on lui
délivrera plus tard, le 10 juin 1932,
l'équivalence du
diplôme de bachelier (mention latin-sciences-mathématiques). A la différence de son
frère
aîné, il a donc poursuivi des études
secondaires
jusqu'à l'âge de 18 ans. Il sera le seul des enfants Krebs
à posséder le diplôme du baccalauréat.
La
rentrée de 1929
le trouve à l'Ecole de
chimie,
alors Quai des Fossés (l'actuelle Av. Kennedy) et depuis
exilée
à
la périphérie de l'agglomération sous
le nom de
ENSCMU. Durant la scolarité de Robert
l'école, gérée conjointement par la
municipalité et la Société industrielle, est
reconnue d'utilité publique en décembre 1930 et accède au rang d'Ecole supérieure de chimie. Une fresque
sur le mur d'enceinte de l'ancien bâtiment glorifie
l'activité économique de la région
où
l'industrie chimique tient sa place. Comme Jean avant lui, Robert profite
de
l’offre de formation professionnelle
développée
à Mulhouse par une Société
Industrielle
particulièrement active depuis sa fondation en 1826. En
juillet
1930, le bulletin de 1ère année lui attribue des
notes
entre 4 1/2 et 5 1/2, le maximum étant 6 (très
bien). Sur
une photographie de classe on le voit derrière M. Battegay,
le
directeur de l’école, avec une cinquantaine de
jeunes gens
en costume et cravate ou blouse blanche. C’est durant cette
année aussi qu’il demande sa naturalisation
française, qui lui est accordée le 17
février 1930
par décision du Ministère de la Justice,
cosignée
par le Président P. Doumergue. Parallèlement il
s’inscrit en formation militaire supérieure.
Après deux ans à l’École,
dont il sort ingénieur
diplômé, Robert
s’inscrit en 1932
avec son équivalence du baccalauréat à
la Faculté
des sciences de Strasbourg
pour y poursuivre ses
études en licence. Contrairement à son
frère aîné il n'entre donc pas
directement dans la vie active après ses études
d'ingénieur. On ne possède guère
de
renseignements sur cette période, à part une
lettre du
1er février 1934, qui lui est adressée en tant
que
président de l’Association
Générale des
Étudiants et qui témoigne de son
activité sociale. On sait aussi que, comme ses frères,
Robert est un fervent sportif. Plus nerveux que bâti en
force, c'est en tant que pongiste
qu'il s'illustre avec le CAM (Cercle Athétique Mulhousien) lors
de matchs qui se disputent au Casino, puis dans une salle du
café de la Paix. Le journal local l'Express relate
ses exploits en 1932-34, citant "son revers et son coup droit
étincelants" et déclarant en mai 1933 après sa
victoire sur un joueur du FC Sochaux: "Krebs reste toujours le meilleur
joueur de la région". En janvier 1934 il participe à la
victoire du CAM qui devient champion d'Alsace et en mai il joue en
série I "avec les as de la région" dans le grand
tournoi international de la Foire-Exposition de Mulhouse
C’est
après l’obtention de la licence qu’il
peut se consacrer à sa vocation militaire.
L’agenda de Jeanne
Schmitt, la fiancée de Jean, mentionne son départ
pour Poitiers le 30
avril 1935.
Il annonce à ses parents son
arrivée dans cette ville par une vue de
l’École
militaire d’artillerie où il restera
au moins
jusqu’au printemps 1936. Il subsiste encore de ce
séjour une
pochette de vues de Poitiers que Robert a commentées au dos
de
sa fine écriture. D’après la demande de
naturalisation de sa soeur Xénia, qui se sert du fait pour
étayer son dossier, il est affecté au 9e BOA
(Bataillon
d’ouvriers
d’artillerie). Ce long stage s’inscrit dans la
continuation
de la préparation militaire supérieure
destinée
aux futurs officiers de réserve. Deux photographies de
groupe le
montrent, en avril 1936, parmi ses hommes du PRREM (Parc
régional de réparation et d’entretien
du
matériel) et, le 27 du même mois, il se fait tirer
un
portrait, sanglé dans son uniforme de fringant sous-lieutenant
avec bottes et culottes de cheval. L’armée jouera
un grand
rôle dans sa vie: selon le témoignage de sa soeur
il
aimait la «chose militaire», et un ami
chimiste lui
écrit: «vous sembliez aimer
l’armée».
Dès sa préparation terminée, il se
fait faire des
cartes de visite de sous-lieutenant de réserve (il finira
capitaine) et s’inscrit à l’Amicale des
officiers de
réserve de Mulhouse. Dans le même temps il se
livre
à des activités annexes: excursions à
La Rochelle
et à Tours pour un tournoi de ping-pong; il
passe aussi un
brevet militaire de conduite de véhicules.
Que
fait-il de 1936 à 1939? Des cartes de Luxeuil,
Besançon,
Belfort semblent indiquer une vie relativement oisive
d’étudiant encore installé chez ses
parents. Il
travaille pourtant: une photographie de 1936 le montre en blouse
blanche dans un laboratoire, sans doute à
l’École
de chimie. C’est pendant ces années, en effet,
qu’il
prépare sa thèse
de doctorat en utilisant les
laboratoires de l’École. De ses
activités il
subsistera chez ses parents une pleine armoire d’appareils et
de
produits chimiques, peu à peu
dispersés.
Avant
même la soutenance toutefois il entre dans la vie
professionnelle, ce qui signifie un changement complet de cadre.
C’est installé à Creil à
l’hôtel
de la Poularde, 34 rue Gambetta, qu’en février
1939
il
annonce se présenter le lendemain à M.
Noël aux
usines Kuhlmann
de Villers-Saint-Paul-Rieux qui ont repris en 1923 le
site de
l'ancienne CFMC
( Comp. Française des Matières
Colorantes) et comptaient plus de 1800 salariés.
Effectivement recruté, il
accédera au poste d’ingénieur en charge
de la
sécurité, une fonction de
responsabilité dans cet
environnement. C’est à cette nouvelle adresse que
son
père lui fera suivre du courrier en mars et en juin. Il
n’est pas tout à fait isolé
puisqu’il
retrouve là des anciens de l’École de
chimie: Frédéric (Fred) Engel
(1909-1976) et Kienzlé. On trouve pourtant cet aveu indirect dans une
lettre
que son cousin Georges Stoll lui envoie avec ses parents,
«tante
Lina» et «oncle Edi», le 26 mars:
«Tu nous
écris que parfois tu te sens seul». Cette remarque
est
assez caractéristique de Robert qui, sous des dehors de
vieux
garçon intellectuel et maniaque, cachait un fond de
sensibilité. Son père, dans son Carnet
de notices,
le désigne comme «mon Sonderling [original], mais
qui a
bon coeur», mais note aussi: «caractère
un peu
difficile comme Xénia».
Etrange
nature en effet. Certainement le plus doué de
la fratrie,
son
caractère et les circonstances ne lui ont pas permis de
développer toutes ses potentialités. Il affirmait
pourtant, jeune homme, que sa vie il la désirait courte,
mais
bonne. Il a souffert en fait de sa solitude, sans jamais pouvoir nouer
pour autant une relation féminine. Il restait
extrêmement
discret sur sa vie privée dont on croit seulement savoir
qu’elle comportait des sorties parisiennes. De ses habitudes
de
noctambule on n’a que le témoignage d’un
entrefilet
de l’Oise-Matin
relatant une agression dont il a
été victime à Nogent à 3 h
50 du matin. Sa
sœur le soupçonnait de tendances homosexuelles,
manifestées par sa sympathie envers des jeunes gens un peu
frustes. Si elles existaient, il semble qu’elles aient
été refoulées au prix de quelques
manifestations
névrotiques, comme sa manie des collections (ronds
de
bière, porte-clés, timbres, etc.), et plus
généralement d’une attitude de
scepticisme ironique
envers l’existence. Après la guerre il trouva une
famille
de substitution auprès de voisins, et en particulier en la
personne de leur fils Marc/"Marco" Baillon dont il a été parrain.