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La montagne magique
C’est à
l’automne 1928
que
s’annonce la catastrophe
qui a dû atterrer les
parents: la
maladie est réapparue et nécessite à
nouveau un
séjour prolongé en sanatorium, en
l’occurrence
à nouveau à la Rose des Alpes,
comme
l’indique une
facture du 31 octobre.
Cette
fois, c’est une adolescente
qui est hospitalisée: elle
écrit et a conservé au moins une partie de sa correspondance.
Le premier témoignage épistolaire
ne date
toutefois que de mai 1929, quand une carte lui est adressée
à La Rose
des Alpes à Leysin. D’autres
suivent
jusqu’en novembre 1931, de différentes
correspondantes et
en particulier d’une mulhousienne, Violette Schoen, qui acquerra
une
certaine renommée et a peut-être
orienté
Xénia vers une formation d’infirmière. On trouve
encore trace de leur correspondance jusqu’en
décembre
1941, quand Xénia lui envoie une carte de Nice. Ce
deuxième séjour durera près de trois
ans, de
l’automne 1928 à l’automne 1931.
C’est
certainement de cette période que date une photographie
montrant
l’adolescente debout sous une verrière, en appui
d’un côté sur une table de nuit et de
l’autre
sur le rebord d’un lit; dans un coin à gauche on
aperçoit des béquilles;
sur le lit à droite une
jeune fille est assise. Sur un autre cliché,
appuyée sur
ces mêmes béquilles, elle se tient au chevet de Ralph, un petit anglais au visage
marqué par la maladie.
Une
sérieuse alerte sanitaire a
dû se produire durant son séjour, en 1930, comme
en
témoigne une carte envoyée le 9 août
à
Xénia par son père qui écrit
notamment:
«heureux de te savoir sain et sauf. J’avais
beaucoup peur
les 4 jours passés». Enfin, à
l’occasion des
voeux de Nouvel An, on apprend que la fin de
l’année 1931
a permis à la malade de revenir à la maison. La
guérison n’est toutefois pas encore
parfaite
puisque sa
correspondante, en regrettant de ne pouvoir la chercher pour le culte
de fin d’année, lui annonce: «votre
chaise longue
est toujours sous le banc des pasteurs, si votre frère vous
accompagnait [...] vous pourriez vous y mettre». Il est
d’ailleurs probable que Xénia soit
retournée
l’une ou l’autre fois à Leysin pour de
courts
séjours estivaux: ainsi Georges Stoll se souvient
d’y
avoir été envoyé, enfant, pendant un
mois pour
observation en même temps que sa cousine et qu’ils
logeaient alors chez des particuliers, les Fabre.
Tous
les établissements
de cure mentionnés - La Rose
des Alpes, La
Nichée, les Frênes
- existaient toujours en 2005,
mais ont
été transformés en
résidences dans les
années 1950, quand
l’héliothérapie a
été abandonnée au profit des
antibiotiques. Ces
lieux de mémoire, visités sous une pluie de juin,
ont
donné un aperçu de l’ennui
insupportable que
devaient distiller certaines journées passées
allongée face à un paysage noyé
de brume. Le Dr. Rollier s’efforçait toutefois
d’organiser des exercices pédagogiques et
pratiques pour
ses jeunes patients. On proposait aux filles travaux
d'aiguilles, vannerie et dactylographie. Aux Frênes on
pratiquait même - couché - les exercices de danse
de Margaret Morris. C’est certainement à Leysin
que
Xénia s’est initiée à
l’art de la
reliure, une activité dont il reste quelques outils.
à 16-17 ans
Une curiste de marque: Indira Gandhi
Un
témoignage nous éclaire sur la vie quotidienne
dans un
établissement de cure à Leysin à
l'époque.
En effet Indira
Gandhi, la fille de Nehru et future
Première ministre de l'Union indienne, a fait un
séjour
d'un an aux Frênes
après avoir présenté des
symptômes d'autant
plus alarmants que sa mère était
décédée de la tuberculose.
La station lui
avait été recommandée par Mahatma
Gandhi qui
l'avait visitée en 1931. Souffrant des séquelles
d'une
pleurésie elle arrive, venant d'Angleterre, en
décembre
1939. La journée, telle qu'elle est décrite par
ses
biographes, se déroule selon un rite immuable.
Petit-déjeuner à 7h 30; puis le lit est
roulé jusqu'au balcon où la patiente est couchée sur le
ventre et
s'appuie sur les coudes afin de développer la cage
thoracique;
un thé est servi à 11h, le déjeuner
à 13h;
suit de 14h à 16h une "cure de silence",
particulièrement draconienne aux Frênes
puisque la route passant devant l'établissement
était
fermée et il était interdit aux paysans de
travailler
dans les environs, d'autant que la fenêtre restait ouverte
par
tous les temps. Un thé est servi à 16h; une
petite
promenade est autorisée aux convalescents; ensuite on attend
au
salon en tricotant et papotant le dîner qui est servi
à
19h, aussi copieux que le déjeuner car la suralimenation est
de
règle; enfin attente dans la chambre du verre de lait qui
prélude à l'extinction des lumières
à 21h.
Indira s'enfuira de cette prison dorée au Nouvel An 1941
pour
rejoindre en Angleterre, en passant par Lisbonne, son fiancé
Feroze Gandhi qu'elle épousera en 1942.
Quant à Xénia, sa correspondance au
cours de ces années s’est
organisée en
partie autour d’une section
d’éclaireuses. Il est
question, entre Aiglon (Xénia) et une certaine
Frégate,
d’un cahier de section et du clan dont font encore partie
Grillon, Roseau, Bételgeuse. Cette amitié,
définie
comme «sestrale» (sororale), perdurera
après le
départ de Leysin.
En
1932,
Xénia fait à nouveau un court séjour
au sanatorium
Erzenberg, à Langenbruck
près de Bâle,
attesté par une facture du 22 mai au 11 juin. Son
frère
Jean et des amis lui envoient une carte à cette adresse,
mais
à partir de 1933 le courrier lui parvient
régulièrement au domicile familial et, en 1935,
on
apprend qu’elle «marche sans canne et sans
fatigue».
Elle profite de sa nouvelle
liberté de mouvement pour se
rendre
à Saint-Dié («je m’amuse
beaucoup
ici»), à Nancy pour la 13e conférence
nationale des
Unions Chrétiennes de Jeunes Filles, à
Villeneuve-Saint-Georges chez la tante Jeanne, la demi-soeur de sa
mère («Je me plais beaucoup dans le petit
appartement de
Tante Jeanne»). On devine à travers ces lignes le
plaisir
tout nouveau de pouvoir se déplacer librement.
D’après l’agenda de Jeanne Schmitt pour
1935, elle
allait aussi régulièrement au cinéma
vers cette
époque.
Il lui reste certes des séquelles
de sa maladie -
elle boîte - mais elle demande, dans une lettre à
ses
parents, qu’on ne parle pas de son
«infirmité
absolument indéniable et parfois
gênante». Son
entourage – écrit-elle – a toujours
cherché
à la lui faire oublier, «et c’est la
bonne
méthode». Cependant elle reste consciente de son
handicap
et n’a pas pu ou pas voulu chercher de compagnon,
malgré
quelques allusions à des idylles
d’infirmière. En
outre, sa tournure d’esprit critique, voire caustique, ne la
prédisposait pas vraiment à une vie commune. Elle
a
reporté son besoin d’affection sur quelques animaux
familiers auxquels elle s’est
fidèlement
attachée,
même lorsque ceux-ci ne lui rendaient guère son
attachement. On se souvient de deux spécimens qui
l’ont
longtemps occupée: «ma rouuuuse», une
poule rousse
à chaussettes, et Mitzi, une chatte impotente et
acariâtre; sans parler de ces fourmis dont elle observait et
commentait avec sympathie les évolutions sur son
évier.