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Quers: rue principale
















9, rue du Colombier




             

 

 


 




















                  


Les ancêtres / A l’aube du souvenir / Les Schray et Stoll / Hans et Anna /
Jean et les autres
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La fin du voyage

Combien de temps a duré la période palantoise? Guère plus d’un an, semble-t-il. La tradition veut que Gottfried ait revendu son commerce à un Suisse qui rentra au pays, fortune faite. Etant donné que la maison a été en réalité revendue à une famille du cru - les Borey - il s'agit sans doute plutôt du fantasme d'une épouse déçue par l'instabilité congénitale de son mari. Dès le 29 juillet 1900, une carte postale est adressée à «M. Gottfried Krebs, marchand de fromages, Nr 38 [rue de] Boudonville à Nancy». Le 9 octobre suivant, c’est le maire de Quers (bourgade à quelques kilomètres au nord-ouest de Lure alors que Palante est au sud-est) qui certifie que «le Sieur Godefroid Krebs, sujet suisse, domicilié dans la commune en tant que fromager, la quitte définitivement». Il est précisé qu’il part avec son matériel et «a toujours eu une très bonne conduite». Force est de constater qu’entre l’arrivée à Palante au printemps 1899 et l’installation à Mulhouse à l’automne 1900 la famille a déménagé quatre fois en un an et demi.

    Pourtant le fils aîné, le jeune Johannes a gardé un particulièrement bon souvenir de la courte période franc-comtoise où - écrit-il bien plus tard - «nous étions heureux». Cependant le petit Suisse a dû avoir quelque peine à s'adapter à l'école en français installée dans le bâtiment de la mairie. Une photographie représentant un paysan et deux paysannes, tous très âgés, porte la mention: «Entendu, à dimanche, le plaisir de se revoir», et au verso: «Palante 31/8/1928». Il est fait vraisemblablement allusion à un pèlerinage effectué à Palante, trois décennies après. Trente ans plus tard à nouveau, en 1960, Johannes/Hans/Jean reviendra sur ces mêmes lieux avec son fils aîné (qui n’a pas connu son grand-père Gottfried), à l’occasion du mariage de son petit-fils Jean-Daniel à Belfort. Une photographie garde le souvenir de cette visite. Plus tard il refera à nouveau le pèlerinage avec sa petite-fille Michèle, la fille de Paul, un autre de ses fils. Cette fidélité dans le souvenir ne peut s’expliquer que par l’idéalisation d’un lieu qui aurait pu devenir le cadre bucolique d’une vie rêvée: nous étions heureux....

    Enfin, après le Nouveau Monde et la France, pourquoi pas l’Allemagne? C’est à Mulhouse, alors ville de l’Empire allemand, que se fixe la famille vagabonde qui trouve ainsi aux confins de la France, de la Suisse et de l’Allemagne son centre de gravité pour trois générations. Le 16 octobre 1900 Gottfried installe une laiterie dans cette ville, au 9 Taubenschlagstrasse (qui deviendra la rue du Colombier), dans une modeste maison qui existe toujours dans une rue calme, mais proche du populeux Faubourg de Colmar. Il abandonne ainsi son métier de fromager, dont les ustensiles ont été vendus, et échange l’artisanat contre le petit commerce. La matière première - le lait - est la même, mais elle n’est plus travaillée et valorisée. Il n’y avait sans doute plus de place en milieu urbain pour la fromagerie artisanale, concurrencée par la production industrielle. Ce changement a été vécu comme une régression par son fils, non à cause du statut ou des revenus de la nouvelle activité, mais en raison des contraintes qu’elle implique. La collecte et la distribution du lait sont à la charge du laitier de l’époque, dimanche et jours fériés compris.

    Comment cet instable, ce vagabond dans l'âme a-t-il pu s'astreindre à cette forme d'esclavage professionnel? N'a-t-il pas eu parfois la tentation, comme son fils plus tard, d'échapper à l'exténuante routine? Une carte postale sibylline, adressée depuis Bad Ragaz à son épouse en septembre 1903, pourrait témoigner de cette aspiration à la liberté, latente et toujours refrénée. Toujours est-il que Gottfried s’use prématurément à ce métier.

    Encore un détail caractéristique qui a été rapporté: quoique Suisse installé en Allemagne, on dit que Gottfried a été un ardent pro-Dreyfusard. Les raisons de cet engagement ont peut-être été très subjectives, comme souvent dans cette affaire. L’injustice faite à Dreyfus - originaire par ailleurs de Mulhouse où Gottfried va s'installer - a-t-elle réveillé une blessure secrète? C’est probable d’après ce qu’on devine de sa personnalité: la vie avait été, dès l’enfance, profondément injuste avec lui aussi.

    De cette génération encore enracinée en Suisse peu d’objets matériels ont survécu aux déménagements et vicissitudes diverses: deux chaises anciennes de type bernois au dossier percé d'un coeur, une montre gousset, une gravure rustique intitulée "La Prière" (cf. Les ancêtres p. 5). Cette famille n’était pas de celles qui ont des objets précieux à transmettre de génération en génération.

    Gottfried décède le 6 juillet 1905 à Mulhouse d’une crise cardiaque à 45 ans, au même âge que son père. Son épouse Luise se remariera en 1908 avec l’employé de la laiterie, Karl Joseph Fuchs, de Steinen, canton de Schwyz, dont la tradition orale - peut-être mauvaise langue - prétend qu’il buvait. Elle décèdera trois semaines après son mariage des suites d’un accouchement.

    Johannes Krebs, le frère cadet de Gottfried, est né le 7 septembre 1866 à Brenzikofen, à côté d'Oppligen, et a été baptisé à Diessbach. Comme cette localité, quoique proche, ne fait pas partie de la circonscription ecclésiastique de Wichtrach, la naissance n’a pas été enregistrée dans les livres ordinaires de cette église, mais dans un registre à part consacré aux naissances signalées de l’«extérieur», que ce soit de l’étranger ou du district voisin. On ne sait s’il a été recueilli, à l’âge de huit ans à la mort de son père, au sein de la famille par son oncle Christian, déjà bien chargé d’enfants, ou par une de ses tantes. Peut-être a-t-il été placé à Berne dans cet orphelinat des garçons, qui existait depuis 1786, et qui est présentement le siège de la police. Sur le faire-part de décès de son frère Gottfried, en 1905, Johannes est mentionné comme habitant toujours Oppligen. La tradition a complètement occulté ce personnage dont on croit seulement savoir qu’il était pathologiquement dépressif.

    Il décède le 16 avril 1924 à Worb, canton de Berne, dans un hôpital psychiatrique selon la tradition orale. Il peut s'agir de ce premier asile "Gottesgnad" pour malades incurables, fondé à Richigen, près de Worb, par le pasteur Gottlieb Ochsenbein en 1886. Ce destin explique certainement le mur de silence et d’oubli édifié autour de son existence. La plupart des familles ont de ces zones d’ombre.

Arbre généalogique des Krebs

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Mulhouse vers 1900








































     blason de Mulhouse