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   Eglise de Muri










Les ancêtres / A l’aube du souvenir / Les Schray et Stoll / Hans et Anna /
Jean et les autres
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On passe de la généalogie au souvenir

A partir de Hans Krebs de 1751 les contours de la généalogie se précisent à mesure que la tenue générale des registres s’améliore… et aussi grâce à un contrôle des naissances qui se met en place avec un siècle plus éclairé. Sur cet ancêtre qui apparaît à notre horizon historique on n’a toutefois guère plus de renseignements personnels que sur ses parents et grands-parents. A la différence des registres alsaciens de notre ascendance maternelle les livres bernois n’indiquent que rarement le métier exercé (charron, meunier, cordonnier, charpentier...), alors que l'artisanat rural était fort développé, mais précisent fréquemment les fonctions officielles, même les plus infimes telles que garde municipal ou cantonnier. Si on sait qu’il est né en 1751, on ignore la date exacte de naissance de ce Hans Krebs. Le pasteur n’indique en effet que le jour du baptême, le 25 juillet, en précisant qu’il s’agit de la Saint-Jacques, et il ajoute les noms des trois témoins habituellement requis. On rencontre avec Hans un premier exemple familial de cette endogamie qui caractérise la population du village puisqu’il épouse une petite-cousine, Elsbeth Krebs, ce nom étant d’ailleurs avec le sien parmi les plus fréquemment rencontrés. Statistiquement la combinaison n’a donc rien de surprenant et elle s’est déjà produite par le passé. A-t-il été atteint d’une cécité plus ou moins accentuée? Les actes de naissance de ses enfants le présentent en effet comme «Hans der Blinde»  (Jean l’Aveugle).

  L’attribution d’un sobriquet était presque une nécessité dans cette société d’homonymes et à cet effet on se servait de la moindre particularité physique, en l’occurrence peut-être une simple déficience de vision (il y avait déjà eu au début du siècle un "Niklaus Krebs der Blinde", dont l'infirmité est signalée dès sa permière communion). Pendant toute une période le registre des décès indique d’ailleurs le surnom à côté du nom. Ainsi en 1717 décède un Bendicht Krebs, surnommé "Loch Bendicht" car habitant au lieu-dit "im Loch" et en 1724 c'est le tour d'un Krebs dont à défaut du prénom on ne connaîtra jamais que le sobriquet bizarre: "Zweymali" (Deux fois - peut-être pour désigner un bègue). Une autre particularité apparaît au XIXe siècle: les nouvelles ambitions scientifiques imposent désormais d’attribuer une cause au décès, d’autant qu’on décède parfois à l’hôpital (l'Inselkrankenhaus à Berne) et non au domicile. Parfois la cause est patente comme pour cette Anna Krebs décédée en juillet 1817, à l'âge de 66 ans, à la suite d'une "chute du cerisier". Dans le cas de notre Hans toutefois, comme souvent, le diagnostic reste vague: il est déclaré mort de son grand âge («Altersschwäche»). En effet, il décède en 1829, à l’âge de 78 ans, survivant d’un quart de siècle à son épouse et dépassant encore son père David en longévité.

    Hans et Elsbeth  sont tous deux originaires d'Oppligen et pourtant on n'a pas trouvé trace de leur mariage. Ils ont eu six enfants, dont Christen Krebs, né en 1783, qui continue la lignée directe. C’est alors que cette microsociété, au moment de disparaître, semble vouloir manifester une dernière fois toutes les incongruités d'un cousinage général – au point que le pasteur en charge de l’état civil en perd le fil. En effet, Christen s’allie à une autre grande «famille» d’Oppligen - les Tschanz - en épousant en 1821 une Magdalena Tschanz. Ils auront à leur tour six enfants, dont une nouvelle petite Magdalena. Parallèlement le frère de Christen, Bendicht, épouse une sœur de Magdalena, Elisabeth Tschanz, qui par son mariage devient donc Elisabeth Krebs, comme sa belle-mère et comme une de ses filles à qui on donnera ce même prénom. Or il apparaît que les actes de naissance des enfants confondent les dates de mariage des deux frères, bien que les cérémonies aient eu lieu à deux ans d’intervalle. Le pasteur attribue au hasard ces dates à l’un ou à l’autre des géniteurs, raturant même une fois la mention exacte pour la remplacer par l’erronée. On peut ajouter une autre curiosité de ces jeux onomastiques: lors de la naissance de la troisième Elisabeth Krebs, les parents – Bendicht Krebs et Elisabeth Tschanz – se croisent en chiasme avec les témoins – Elisabeth Krebs et Bendicht Tschanz (la grand-mère et un oncle maternel de l’enfant)...

Christen baptisé le 26/01/1783

    La complexité des rapports familiaux s’accentue encore à la génération suivante avec la progéniture de Christen. L’un de ses fils se prénomme à nouveau Christian  (la forme moderne du prénom) et épouse l’exact homonyme de sa mère, une nouvelle Magdalena Tschanz (enceinte de 6 mois) qui par son mariage devient donc une troisième Magdalena Krebs. En outre sa belle-mère, encore une Elisabeth Tschanz, est née...Elisabeth Krebs, comme la propre grand-mère de Christian, et il prénomme bien entendu une de ses filles Elisabeth, la cinquième du nom en trois générations, dans un village qui en compte bien d'autres. Le prénom est en effet à la mode et en la seule année 1836 on ne baptise pas moins de quatre Elisabeth Krebs. De ce nœud familial émerge la figure de Jacob. Il est le quatrième d'une fratrie de cinq enfants, et il est notre ancêtre… 
 
    Jacob Krebs est le premier des ascendants en ligne directe dont la mémoire familiale ait gardé quelque souvenir. Il naît le 16 septembre 1829 à Oppligen et est baptisé le 27; il sera confirmé à Pâques 1846 dans la paroisse voisine d'Oberdiessbach. Parmi les témoins de son baptême on remarque un Christian Vögeli qui est du «clan» au moins depuis que l’arrière-grand-père de Jacob avait épousé une Vögeli.

    D’après la tradition orale ces Krebs étaient une famille de paysans pauvres – des «planteurs de patates», comme on disait dédaigneusement dans cette région où la richesse s’évalue en têtes de bétail et où ce légume était à l'origine destiné à la nourriture des animaux et des indigents. Il est loin le temps où le chef de famille, Hans Krebs (1665-1733) exerçait les fonctions d'Ammann et disposait souverainement de ses biens par testament. Le statut de famille nombreuse n’a pas certes contribué à les enrichir. Cette indigence explique peut-être le fait que les neveux de Jacob soient restés célibataires et que, sans lui, cette branche du nom se serait éteinte. Quant à Jacob – dont on supposera qu’il était beau garçon - il a la chance de plaire à une fille de fermiers riche et jolie: Susanna Reist, originaire de Sumiswald, à une trentaine de kilomètres au nord-est d’Oppligen, mais habitant à Diessbach (à moins qu'elle n'y ait été comme servante, ce qui remettrait en cause la légende dorée!). Il a 30 ans, ce qui est alors l’âge normal du mariage pour les garçons dans ce milieu; elle en a 23, ce qui est en revanche relativement jeune. Les noces ont lieu le 5 novembre 1859 à Muri aux portes de Berne. 

    Cette localité de Muri est fréquemment choisie pour la cérémonie à cette époque, peut-être pour sa proximité avec la métropole cantonale ou encore pour sa vénérable église ancienne - peut-être aussi simplement à cause de la présence à proximité de l'église de l'auberge Sternen, ancienne et réputée. C’est à Muri déjà que s’est marié le frère aîné de Jacob et, avant eux, leur père: ils ont donc leurs habitudes en ce lieu. La tradition familiale rapporte que les parents de l’épousée, mécontents de la mésalliance, renièrent leur fille. De façon moins dramatique on peut supposer qu'ils avaient de plus hautes ambitions pour leur fille unique, née après vingt ans de mariage et choyée en conséquence. L’ambiance a dû être malgré tout à la fête puisque le même jour on célèbre aussi le mariage de la sœur de Jacob, Magdalena, qui à 35 ans épouse enfin un homme de 45 ans, originaire de Buchholterberg. L'entremise de la famille a certainement joué un rôle dans ce mariage tardif puisque l'époux de la "jeune" mariée est allié aux Reist par Anna Barbara, soeur de Susanna. Jacob a encore deux autres soeurs: l'aînée, Verena, est alors déjà mariée à un potier de Signau qui quittera Oppligen pour Kiesen, puis Heimberg d'après le registre des "expatriés" tenu par la commune; quant à la cadette, Anna, elle restera célibataire.
                               

Jakob né le 16/09/1829

    On ne sait quelles sont les conditions d’existence du jeune couple qui, apparemment brouillé avec la belle-famille, ne pouvait compter sur l’aide de celle-ci. Jacob vivra un temps un peu à l’écart d’Oppligen, à Brenzikofen où naît son second enfant, de même qu'on trouve la trace de son frère aîné Christian dans divers hameaux des environs, à Diessbach, Brenzikofen, Breitenbach et au lieu-dit Stadelfed à Wichtrach. Ces déménagements dans le cadre de la région indiquent manifestement qu’il n’existait pas d’exploitation agricole digne de ce nom qui aurait été gérée en commun par la famille. N’imaginons donc pas les nouveaux mariés en costume traditionnel bernois, accoudés au balcon fleuri d’une de ces opulentes fermes au vaste toit en auvent; ou encore prenant le frais sur le "Bänkli" devant une écurie bien fournie. Voyons les plutôt en petits paysans courbés sur leur lopin de terre ou en modestes artisans, mais accordons-leur quelques chèvres et même une ou deux vaches paissant dans ce qu'il reste des maigres pacages communaux sous la garde d'un des enfants: le lait va rester source de vie pour encore deux générations. Est-ce un hasard ou l’effet des travaux et des soucis ? Susanna meurt dès juillet 1868, à l’âge de 31 ans et 9 mois, de ce que l’acte de décès désigne comme une «consomption» ("Auszehrung"), mot qui recouvre aussi la phtisie qui sévissait à l'époque. D'après le registre de citoyenneté la famille était venue de Diessbach pour s'installer à Oppligen quelques mois auparavant, le 3 mars 1868. L’acte de décès mentionne, par exception, un domicile - «beiy Rothachen» - ce qui correspond au hameau de Rotache situé un peu à l'écart d'Oppligen au bord de la rivière du même nom. Cette adresse (Rotachenweg) pourrait être celle du dernier endroit habité par nos ascendants dans la commune d’origine. Quant à Jacob, contrairement à ses ancêtres, il meurt jeune lui aussi, à 45 ans, en 1874 d’une «apoplexie», manifestant ainsi une fragilité qu’il transmettra à ses fils.

    A la mort de leur père les enfants du couple, Gottfried et Johannes, devenus doublement orphelins, sont âgés respectivement de 14 et 8 ans; le plus jeune a à peine connu sa mère. Ils présentent une fragilité physique et psychologique qui n’a pu être que renforcée par ce décès prématuré des parents.

Automne à Oppligen