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L'Ecole cantonale (2006) 






 






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Gottfried le nomade

Gottfried Krebs , le fils de Jacob et Susanna, est né le 8 septembre 1860. La bible familiale de 1882 indique comme lieu de naissance Oppligen, puis la localité voisine d' Oberwichtrach, ce qui correspond à la mention de l’état civil. Au nombre des témoins du baptême on note sa tante Magdalena et un Friedrich Galli qui doit être un beau-frère de celle-ci. Grâce aux récits de son fils, de sa petite-fille Xénia - la fidèle gardienne de la mémoire familiale - et grâce aussi à 
quelques documents que le hasard a épargnés, Gottfried émerge quelque peu de la brume des temps.

     Âgé donc de 14 ans au décès de son père, en 1874, il a dû être recueilli avec son jeune frère par son oncle Christian, le charron, le frère aîné de son père. Cette tutelle est toutefois problématique, Christian ayant déjà six enfants et ayant affronté dix ans auparavant un procès en paternité intenté par une servante. Bon élève, Gottfried a obtenu une bourse du canton pour l'Ecole cantonale d'agriculture et fromagerie (Landwirtschatliche Schule) de Rütti-Zollikofen, qui déploie encore de nos jours ses vastes bâtiments au milieu des pâturages et des champs à quelques kilomètres au nord de Berne. S’il subsistait un maigre patrimoine familial, il a dû être vendu par le tuteur pour subvenir aux besoins des orphelins. Gottfried fait encore sa communion à l'église de Wichtrach à 16 ans en 1876; il est inscrit dans le registre de la "bourgeoisie" d'Oppligen au 1er mai 1878, alors qu'il va avoir 18 ans. Ensuite le lien avec le berceau ancestral se rompt définitivement. La famille va essaimer ailleurs en Suisse, puis en France et jusqu’aux États-Unis.

    Après son service militaire, et quoique fiancé, Gottfried part deux ans comme régisseur - dit-on - mais plus vraisemblablement comme ouvrier fromager dans les plaines de l'Ohio et du Kentucky, loin de ses montagnes natales. Une photographie très pâlie pourrait dater de cette époque, qui le montre avec des camarades équipés des instruments de leur profession. Des officines se chargeaient alors de recruter en Europe - en particulier en Allemagne du Sud et en Suisse - des paysans pauvres afin de fournir en employés les grands domaines américains. Le canton de Berne (alors élargi à l’Argovie et au Jura) a fourni à lui seul 75% des émigrants suisses au XIXe siècle, à raison d'environ mille par an. Parfois d'ailleurs les autorités encourageaient l'émigration par des primes pour lutter contre la surpopulation ou encore pour se débarrasser de citoyens turbulents. Ces émigrants partaient souvent avec un contrat de travail en poche. La traversée durait une vingtaine de jours et coûtait entre 80 et 100 francs suisses pour une place dans l'entrepont, plus 40 francs pour les denrées de base, fournies par la Compagnie, et qu'il fallait préparer soi-même sur des fourneaux mis à la disposition des passagers.

     Si les Allemands s'embarquaient à Brème ou Hambourg sur les bateaux de la célèbre
HAPAG (plus tard Hamburg-Amerika-Linie), les Suisses choisissaient de préférence Le Havre qu'on rejoignait en diligence, puis plus tard par le train. Ainsi la quasi totalité des passagers du paquebot Amérique qui appareille de ce port le 28 mai 1881 est originaire de Suisse (dont 5 Krebs) ou du pays de Bade. Curieusement on ne trouve pas trace du nom de Gottfried dans le registre des passeports établis par le canton de Berne dans les années 1880, ce qui pourrait s'expliquer par une résidence dans un autre canton. Il est vrai aussi que certains émigrants avaient leurs raisons pour partir clandestinement, "sans papiers", et s'embarquer sur les navires de capitaines peu scrupuleux. Ainsi le fameux Johann Sutter, dont la propriété californienne sera à l'origine de la ruée vers l'or, s'embarque au Havre, criblé de dettes, avec un passeport français de complaisance. Les registres d'Ellis Island ne nous apprennent rien, ce centre de transit et d'enregistrement n'ayant ouvert ses portes qu'en  1892.

    On rapporte que Gottfried aurait désiré rester en Amérique, mais que sa promise refusa de le rejoindre. Et voici un incident caractéristique: sur le chemin du retour Gottfried dépense tout son pécule à New-York. On l’imagine traînant entre les docks du port dans l’attente du bateau et entraîné de tripot en mauvais lieu. Finalement il a dû emprunter l'argent du retour à sa fiancée, ce qu’elle ne manquera pas de lui rappeler à l’occasion plus tard. Cet épisode révèle moins une faiblesse de caractère qu’un tempérament volontaire et buté: n’ayant pas fait la fortune dont rêvait tout émigrant, il a préféré dilapider ses modestes économies. C’est l’interprétation que suggère une photographie de cette période qui montre un homme jeune encore, à l’air à la fois boudeur et décidé (ce portrait - signé par le studio Richard Adam à Mulhouse - doit être un retirage d’un cliché ancien). La suite de son existence reproduit plusieurs fois ce processus de destruction, au point qu’on peut se demander s’il n’y a pas dans son comportement une volonté inconsciente d’échec, l’orphelin ayant interprété une fois pour toutes la mort prématurée de ses parents comme un échec fondamental. Des héritages sont ainsi lourds à porter, qui jettent parfois leur ombre encore sur plusieurs générations.

    Gottfried se marie le 20 juillet 1886 à Affoltern, la résidence de son épouse. Il ne s’agit pas, comme on pourrait le penser, de la petite cité fromagère de l’Emmental qui porte ce nom et qui est, de plus, toute proche de Sumiswald, la commune d’origine de sa mère. Il s’agit de la ville homonyme du canton de Zurich, située à l’ouest du lac dont elle est séparée par la chaîne de collines de l’Albis, d’où son nom: Affoltern am Albis, qui compte aujourd’hui une dizaine de milliers d’habitants. C'est là qu'il épouse Karolina Luise Syz, 22 ans, la fiancée au coeur fidèle, fille de Johann Ulrich Syz et de son épouse Anna. Conformément à la tradition les jeunes époux reçoivent à cette occasion une bible qui a été conservée. On ne sait comment Gottfried avait rencontré sa future femme: vraisemblablement pendant son service militaire, effectué avant son départ pour l’aventure américaine. Normalement, il a été affecté à l’ «école de recrues» de Berne et c’est à cette occasion qu’il aurait fait la connaissance de Luise, alors loin de chez elle «en condition», c’est-à-dire en service dans une maison bourgeoise - une hypothèse qui est étayée par la destinée parallèle de ses sœurs. Ces rencontres étaient fréquentes à l’époque entre jeunes bonnes et militaires dans les jardins publics ou les petits bals. Orphelin sans fortune, Gottfried ne pouvait espérer épouser qu’une jeune fille pauvre mais travailleuse, dépourvue de dot. Après son mariage, conformément à la réglementation, il fait officialiser son nouvel état civil par sa commune d’origine Oppligen (Heimatschein für einen verheirateten Mann).




Johann Ulrich Syz (beau-père de Gottfried) et sa mère
vers 1850



Annexe: la famille Syz




 



































































                           Joh. Ulrich Syz  âgé