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Les ancêtres / A l’aube du souvenir / Les Schray et Stoll / Hans et Anna /
Jean et les autres
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Une oasis en Haute-Saône

Le mariage de Gottfried est placé d'emblée sous de mauvais auspices. Il a lieu six mois après le décès du père de la mariée et il précède de peu la mort de sa belle-mère. La jeune épouse se retrouve donc orpheline comme son mari. Le couple s'est installé à Affoltern où Gottfried exerce son métier de laitier-fromager, peut-être au domicile même de ses beaux-parents. Deux enfants naissent dans cette ville: l’aîné en 1887, qu’on baptise Johannes, comme son oncle, et le cadet en 1890, prénommé Gottfried comme son père (il y aura en ligne directe trois générations de Gottfried). Le seul portrait de
famille que l’on ait date de 1895 (studio Müller à Bâle): les enfants y apparaissent le crâne rasé et l’air sérieux; l’impression d’ensemble est compassée et triste, peut-être en conformité avec les canons esthétiques de l’époque. Sur un portrait de 1896 le père apparaît, à 36 ans, très différent de ce qu’il était jeune homme: le visage est plus mince, moustachu, les yeux vaguement rêveurs.

 
   En 1891 Gottfried achète une laiterie à Birsfelden, près de Bâle. Il y avait toutefois en lui comme une peur quasi pathologique de la stabilité qui le condamnait à abandonner rapidement toute entreprise pour aller chercher infortune ailleurs. Ses décisions étaient alors soudaines comme des crises; sa femme aurait entendu toute sa vie ce refrain: «Luise, wir zügle!» [Luise, nous déménageons!]. On ne sait combien de temps a duré l’établissement à Birsfelden; le portrait familial de 1895 a encore été tiré à Bâle, mais en 1898 une photographie de classe du fils aîné a été prise à Horgen, sur les rives du lac de Zurich. Ces repères chronologiques ne rendent certainement pas compte de tous les déplacements.

    On ne retrouve le fil de cette existence mouvementée qu’avec un extrait du registre d’immatriculation de Palante, un hameau de quelque 150 habitants situé dans l’arrondissement de Lure (Haute-Saône). On y apprend que, le 6 mai 1899, "Godefroid" Krebs est arrivé dans la commune pour y exercer le métier de fromager. Après l’Amérique
la France! Pour ce germanophone, né dans un village au cœur de la Suisse alémanique, cette transplantation en terre francophone n’allait pas de soi, mais il semble qu’il ait eu besoin de relever constamment de nouveaux défis. A coup sûr intelligent, il a déjà appris l’anglais aux Etats-Unis et a sans doute amassé suffisamment de connaissances en français au cours de son existence mouvementée pour s’établir dans ce nouveau pays.

    Palante égrene ses grosses fermes éparses dans un paysage vallonné subvosgien propice à l'élevage. On aperçoit à l'horizon la chapelle de Ronchamp ainsi que les bâtiments de l'ancienne mine de charbon. Le village forme un Y dont les branches se divisent au niveau de la mairie pour escalader un plateau. A la sortie en direction de La Côte se trouve la bâtisse dans laquelle Gottfried avait installé sa fromagerie. Il s'agit d'un bâtiment typique percé d'une vaste porte cintrée permettant d'entrer directement le foin dans la maison. On possède encore une feuille à en-tête de cette nouvelle fromagerie annonçant:
Fabrication de Fromages de Gruyères, Spécialité de Fromages Tilsites, ainsi qu’une étiquette ronde portant la mention: Camenbert (sic) fin (il est amusant de noter que Lure est précisément la patrie du célèbre sapeur Camember!). Dans ce village en sabots l’arrivée du Suisse ne passe pas inaperçue. Les chaussures des enfants Krebs et l’édicule construit par leur père au fond du jardin excitent la curiosité des habitants (l'étable servait couramment de latrines). On peut penser que les paysans, par ailleurs accueillants, appréciaient d’avoir un débouché local pour leur production laitière tandis que Gottfried écoulait sa production sur les marchés.
  

    En 2008 la ferme existait toujours, à peine changée, 4 route du Bourget, et était exploitée par M. Noël Borey qui y pratique l'élevage. C'est son grand-père qui a acheté la maison en décembre 1901 à Emile Bernard qui la tenait de Moïse Veil, négociant à Lure. Gottfried était donc locataire des Bernard et une quittance de 60 F du percepteur garde la trace, à la date du 31/10/1899, d'un "prélèvement opéré par lui sur le produit de la vente de lait pour paiement du loyer de la fromagerie".

     

la fromagerie jadis et de nos jours

    Le hasard a conservé quelques documents qui, quoique mineurs, sont le lointain écho d’une existence réelle. Le 28 février 1900, le Service vicinal - Rôle des prestations - prend acte de la déclaration de Gottfried de vouloir acquitter sa taxe en nature par le curage d’un fossé de 120 m le long du chemin vicinal n° 4 ("Embranchement du Magny d’Anigon sur la Cote - profondeur: 40cm, largeur de 1m en haut à 40cm au fond"). Cette portion de fossé est encore facilement repérable de nos jours. Deux quittances du percepteur de Palante attestent encore sa présence au milieu de 1900, ainsi qu’une facture d’un certain A.Stiefvater, marchand de vins à Frotey-lès-Vesoul, au dos de laquelle quelqu’un - Gottfried? -  a écrit un brouillon de lettre: «Je vous serais reconnaissant de me faire connaître le jour que vous prendrez livraison de mes gruyères». Il est possible que Gottfried, qui devait être plus à l’aise en français à l’oral qu’à l’écrit, se soit fait rédiger ses lettres par un tiers.
 











































                                  le fameux fossé