Les
Obrecht / Les Hild / Les
Schmitt / Les Obrecht-Schmitt
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Maisons et jardin
Quoi qu'il en
soit Jeanne n’est donc pas sans
ressources, d‘autant qu'elle peut compter aussi sur
le
salaire puis la pension de son père. Dès avant la
fin du
conflit elle se met en quête d'une maison à
acheter et en
visite quelques unes. Son installation dans la maison exiguë
de
ses parents n'était en effet dans son esprit qu'une solution
provisoire en attendant le retour de son mari. C'est donc
dès le
début de son veuvage qu'elle acquiert une maison bourgeoise
au 75
rue de
l’Espérance
(devenue av. Robert Schuman) où son père Jean Obrecht
viendra la rejoindre, vraisemblablement après son propre
veuvage en 1927. Cet immeuble, dont sa fille
hérite en
1967, ne sera revendu par celle-ci qu'en 1971 au prix de 130.000 F.
Entre-temps Jeanne aura également acheté en décembre 1932
le bel
immeuble d'angle du n° 19 de la rue de l'Espérance,
dont
elle occupe le rez-de-chaussée, non pas
immédiatement,
mais au 1er juillet 1935.
La déclaration de succession,
dressée lors du décès de sa fille,
nous apprend
que celle-ci en était en fait propriétaire
dès
l'origine, à l'âge de 20 ans. En personne
avisée
Jeanne voulait sans doute ainsi lui éviter d'avoir
à
payer une trop lourde imposition lors de son propre
décès.
Elle
achètera encore, dans les
années 1920, ce jardin
de Modenheim, "sis au ban
d'Illzach", qui deviendra le pôle
de la vie familiale en été et que sa fille
revendra en
été 1972 comme terrain constructible à
sa propre fille Annette Krebs-Stamm pour 12.000 F. Enfin, en 1962, elle
vend pour
70.000
F une maison, 17
rue Schoepflin à Colmar, dans le quartier
qu’elle a habité comme jeune mariée.
Pendant la
seconde guerre mondiale elle croira mettre une malle à
l’abri chez son petit-neveu Alfred Ambos,
receveur de la
poste de
Wittelsheim. Ce dépôt sera cependant
détruit dans
un bombardement. On en connaît le contenu par une demande de
dommages de guerre adressée le 6 avril 1945, avant
même la
fin des hostilités, à la mairie de Wittelsheim,
accompagnée d’une liste de bijoux (dont une
chaîne en or avec médaillon,
«héritage de
grand-mère» ), actions et
obligations.
De
tempérament économe, sa
tendance naturelle à l’épargne aura
été renforcée par son veuvage et fera
l’admiration de son gendre plutôt
dépensier.
C’est donc, semble-t-il, moins par
nécessité que
pour assurer tout à fait son existence qu’elle
s’est
décidée à prendre un emploi. Elle
n’avait
pas de formation professionnelle particulière, mais une
solide
connaissance de l’allemand et du français, ainsi
qu’une belle écriture et le sens de
l’ordre et de la
discipline. Elle était donc apte à faire une
bonne secrétaire,
et c’est pour un tel emploi
qu’elle pose
sa candidature dès octobre 1918.
C’est en cette
qualité qu’elle a été
recrutée par Schlumberger
pour le «bureau technique» de
l’usine de
la Dentsch. Des photographies de 1930 la
montrent assise à un bureau dans une pièce
où se
trouve aussi une planche à dessin. La garde de sa fillette
sera
assurée par les grands-parents, en particulier par la
grand-mère Salomé qui, selon le
témoignage de
Hansi, l’a pratiquement élevée.
La
date exacte d’embauche n’est pas connue, mais
celle de
sa cessation
d’activité. Dans une lettre en
allemand
du 19
avril 1932
à sa fille, élève
à
l’Ecole Normale, Jeanne évoque son prochain
départ.
Elle a reçu la visite de son collègue, M.
Greiner, devenu
un ami de la famille, à qui elle n’a encore rien
dit, se
réservant d’annoncer sa décision
à M. Schoen
qui semble être le directeur technique. Elle promet un compte
rendu de sa démarche et en expose les raisons: sa fille est
sur
le point de gagner sa vie et n’aura bientôt plus
besoin du
soutien de sa mère. Comme Jeanne, sous des dehors discrets,
était d’un caractère
réfléchi, elle
s’interroge incidemment dans cette même lettre sur
la
situation économique générale. Au vu des améliorations de
productivité introduites à l’usine par
MM. Krebs
et
Schoen, elle se demande: «Où conduira cette surproduction?
Partout on travaille rationnellement. C’est le mot
d‘ordre
de notre temps» [Wohin wird diese Überproduktion
führen. Überall wird rationell geschafft. Es ist das
Schlagwort unserer Zeit]. Il faut voir dans cette interrogation un
écho des préoccupations d’une
époque en
proie à la crise économique. Vers la
même
période elle dit aussi avoir écouté un
discours du
chancelier Hitler
à la radio et juge qu’il a de
bonnes
idées, tout en se demandant s’il pourra les
réaliser.
Il faut se représenter cette vie
d’entre les deux guerres, partagée entre Mulhouse,
Andolsheim où on se rend fréquemment, et le
jardin acheté à Modenheim en bordure du Quatelbach. Un
instantané d’août 1931 a
fixé un tableau idyllique des belles
journées passées dans ce jardin: le
grand-père s’est arrêté de
sarcler et s’appuie sur une houe, sa fille prend
élégamment la pose avec une bêche, sa
petite-fille s’apprête à cueillir un
fruit; dans l’herbe une jeune fille, dans laquelle on croit
reconnaître Marthe Stahl, une camarade de
l’Ecole
Normale, est assise, souriante.