Que
d'émotions!
Entre-temps,
la jeune enseignante, qui a de moins en moins
la foi pédagogique, poursuit difficilement cette année 1935.
Malaises diplomatiques, psychosomatiques ou véritables
problèmes de santé ? Elle accumule les
congés
de maladie. Elle a encore juste le temps de participer au Bal des
Instituteurs, le 9 février, avant que le Dr. Stephan, qui la
soignait déjà comme petite fille, ne lui accorde
trois
semaines de congés à partir du 14. A peine
a-t-elle repris les cours depuis une
quinzaine que, le 21 mars, elle consulte à nouveau le
médecin de famille et un Dr. Will Pierrot qui prescrit une
radio
du poumon au Diaconat. Il s’agissait d’un examen de
routine
en ces temps où la tuberculose était encore
fréquente, mais la patiente ne présentait en fait
aucun
symptôme alarmant, hormis une fatigue due à une
profession
difficile exercée à contrecœur.
Pourtant le lendemain, le
Dr. Stephan, très compréhensif, accorde trois
mois de
congés à une malade qui ne se privera pas
d’excursions et de voyages.
C'est ainsi qu'au
joli mois de mai
notre institutrice en rupture de bancs met
à profit son congé pour passer presque quatre
semaines en Forêt-Noire, non pas en cure de repos, mais en
excursions pédestres (elle note avoir acheté des
«souliers de montagne»). Elle fait allusion
à des
amis de
Fribourg,
les Trost, mais elle passe la première nuit, le 6 mai,
à l'Armée du Salut. Le lendemain elle gagne
Hinterzarten
où elle
s’installe dans une
pension qui offre sa terrasse par beau
temps - sans doute déjà le
café-pension Imbery où
on reviendra l'année suivante. A part un tour en voiture
avec
Robert Trost
et la belle-soeur de
celui-ci jusque Lindau, elle rayonne autour de son lieu de
villégiature, prenant parfois le bus pour l’aller
et
revenant à pied.
Hinterzarten
est en effet
particulièrement bien situé pour organiser des
randonnées vers les principaux sites touristiques de la
région: Titisee, Feldberg, la sombre vallée du
Höllental et la pittoresque chute d’eau de la
Ravennaschlucht. Elle passe même par
Alpirsbach
d'où est originaire la famille de sa future
belle-mère, ce qu'elle
ignore. Ce mois de mai est en fait assez frais: soleil, pluie
et neige alternent, et il faut faire du feu dans la chambre. Pour le
week-end du 18 mai Jean, accompagné de Mme Schmitt, vient
rejoindre sa
fiancée et ils
refont ensemble les excursions les plus spectaculaires
déjà effectuées par Jeanne, en
particulier au
Titisee où ils se retrouvent les pieds dans la neige au
sortir
de la gare. On profite de
l’appareil photographique de Jean: le même rocher
accueille
pour la postérité la
mère
et la fille, puis le
jeune
couple.
Au retour, le 31 mai, c'est à nouveau à
l'Armée du Salut que Jeanne loge à Fribourg.
Trois jours avant
l’expiration
de ces «grandes vacances», Jeanne note
qu’elle est
allée voir «M. l’Inspecteur
d’Académie» à Colmar. Une
mise au point
s’impose sans doute, et elle a dû laisser entendre
qu’elle envisageait de quitter l’enseignement. Elle
paraît avoir repris la classe, très
provisoirement, en
juillet et participe à une excursion de fin
d’année
à la Schlucht avec l’école le 13
juillet.
Cependant, déjà au mois de juin, à la
suite de
maux de ventre, elle avait consulté un
spécialiste, le
Dr. Goldbach. Diagnostic: «
Appendicite!!!».
On
avait
tergiversé, mais le 11 juillet, deux autres
médecins, les
Dr. Krach et Zettel, recommandent l’opération qui
a lieu
le 16 juillet à 10 h au Diaconat. La patiente sort le 27 et
rentre en taxi au domicile familial.
Des
affiniés très électives
On
remarquera à
ce propos l’assiduité de l’ami Charles
(Daske).
En l'absence de Jean, à Evreux pour raisons
professionnelles, il
ne se rend pas moins de quatre fois au chevet de la patiente durant sa
courte hospitalisation. Au sein du petit groupe d’amis les
quatre
frères Daske - Paul, Henri, Charles, Jean - et leur
soeur
Marie font
partie du cercle le plus intime depuis le
début. La famille Daske, originaire de Königsberg
en Prusse
Orientale, s'est installée à
Mulhouse quand le
père, Friedrich (1875-1940), a ouvert dans la Grand'rue un
atelier de menuiserie,
repris ensuite par son fils Henri
(1905-1987). D’après de
discrètes
allusions
ultérieures de Jeanne, elle avait en Marie
Daske
(1912-1978) une
sérieuse
concurrente auprès de son fiancé.
Elle-même semble servir de confidente à Charles
qui, si
l’on en
croit l’agenda, lui rend de fréquentes visites. Au
cours
de celles-ci il arrive qu’on débatte des affaires
de
cœur qui surgissent naturellement au sein d’un
groupe de
jeunes gens; ainsi le 16 mars a lieu une «explication
concernant Jacqueline»
(Haas). Charles, en effet, paraît très proche de Jacqueline
Haas, la meilleure amie de Jeanne. Sur des photographies prises
fin juillet 1934 au Jardin
Zoologique où
on
les voit se donner le bras. Charles est également de la
partie
lors d'une visite aux parents Haas
à
Sainte-Marie-aux-Mines en septembre de la même
année.
Les «affinités
électives» auraient pu s’organiser selon
une autre
constellation… Le destin en ayant
décidé
autrement, il restera une amitié cultivée de
loin. Charles
(1906-1938) enverra encore en janvier 1937 une photographie
d'une sortie de
ski au Markstein en souvenir des journées passées
ensemble à la neige. En lieu et place de Jacqueline Haas il
a uni sa
destinée à Jenny Fey
(1907-2006) qui
fait partie du même groupe d'amis
et apparaît
plusieurs fois dans l'agenda de Jeanne à cette
époque. Parmi les invités de la noce on remarque Jean et Jeanne
pas encore réunis. Paul/"Paulet" Daske
(1903-1987), de son côté, unit sa
destinée à Hélène
Waibel (1903-1984). Quant à Marie
elle épouse en octobre 1934 André/"Dédé"
Bonigen (1909-1991), rencontré au SUM
où elle-même joue dans l'équipe de basket. Le SUM a
vraiment été pour cette jeune
génération
protestante le catalyseur autour duquel se sont cristallés
les
différents couples.
Quatre Daske
Avec
le mariage, et les voyages qui ont suivi, les relations se sont
distendues. Depuis, le temps a fait son
oeuvre et brouillé les pistes. Encore en novembre
1939 Jean et
Jeanne, de passage à Paris, poussent jusque Puteaux pour
rendre
visite à Jenny Fey, veuve de Charles
prématurément
décédé en octobre 1938, mais
sans
la trouver. Le couple a eu une une
fille Christiane, pharmacienne, qui est aussi
décédée assez jeune et sans enfant.
L'autre couple
Daske - Paul et Hélène
- installé à Marseille, a en tout cas,
gardé des contacts suffisants avec Jean et Jeanne pour les
choisir comme parrain et marraine de leur fille Jacqueline. Des photographies
témoignent encore d'une rencontre avec
la famille Daske et leurs trois enfants à Marseille en juin
1948, à Saint-Quentin en avril 1952, à nouveau
à
Marseille en juin 1957, et enfin en Alsace en août 1963. Le
couple Bonigen
- André
et
Marie (Daske)
- a quitté lui aussi l'Alsace; ils ont eu une fille Claire,
née à Courbevoie en 1946. Ils se sont
installés
ensuite à Cosne-sur-Loire où Jean et
Jeanne avec
leurs enfants leur ont rendu visite en mai 1951. Ils ont
été parrain et marraine de Georges, le plus jeune
des
enfants Krebs. En 2011, lorsque des contacts ont
été
repris avec elle, Claire Bonigen était installée
à
Paris.
Depuis le début
de l’année civile Jeanne n’a pas
enseigné
deux mois en tout. Elle n’assurera pas la rentrée
de 1935:
mariée, elle estime n’avoir plus à
travailler et,
le 17 septembre, elle adresse une lettre à
l’Inspecteur
(elle n’écrit plus « M.
l’Inspecteur »!) qui ne peut contenir que
sa
démission. Elle sera contactée dans les
années 50
pour reprendre du service, l’Education manquant de personnel
à la suite du «baby boom». Elle
n’a, bien
entendu, pas donné suite.
En
attendant, durant le mois d’août, les
préparatifs
matériels du
mariage vont bon train. Il y a la
confection de
la
robe, depuis l’achat de l’étoffe le 3
août
jusqu’au dernier essayage chez la couturière,
Hélène Fogt, le 29 août.
C’est cette
même couturière qui en juillet 1918, alors
prénommée Helena, avait confectionné
à
domicile une robe de soie pour la mère de Jeanne. Une note
«chez les Stoll» indique que la fiancée
a
été présentée par Jean
à la
parenté. Les fiancés posent en effet le 15
août
dans le jardin des Stoll avec
toute la famille devant une somptueuse
Fiat 11cv. Les invitations sont envoyées le 12
août
et les bancs publiés le 16 à Wittelsheim,
apparemment le
lieu de résidence officiel de Jeanne. Il semble
qu’il y
ait eu au dernier moment une difficulté imprévue.
Les 27
et 28 août, Jeanne et sa mère se rendent chacune
à
leur tour à Wittelsheim; à ce propos apparaissent
des
allusions énigmatiques: tribunal,
sous-préfecture, fiche
du procureur, puis «enfin
réglé». Est-ce un
problème administratif lié à la
nationalité
de Jean? La veille de ces démarches, il y avait eu une
visite au
consulat de Suisse, certainement pour déclarer le mariage
qui
est effectivement enregistré dans le registre de
citoyenneté d'Oppligen, mais à la date
erronée du
21 aôut.