La
rencontre / Les
fiançailles
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Le couple se
retrouve à nouveau à Lucelle en
été
1934.
Certes les amis sont là, avec qui on entreprend la classique
excursion au Morimont,
mais désormais l'intimité prend le
pas sur la bruyante
agitation du groupe. Le 15 juillet Jeanne pose en robe blanche et
ceinture noire pour une séance de photographies dans la
nature
estivale. C'est la robe blanche de cette
année-là: elle
la porte encore en septembre
avec des socquettes blanches.
Ici se place en août un voyage
décisif en Suisse, qui a scellé
l’alliance des jeunes gens. Le souvenir en a
été conservé dans l’agenda
de l’année suivante où on remarque,
inscrite sur une page liminaire,
une date encadrée sans explications: «le
14 août
1934».
L’explication est fournie indirectement par une photographie
du
couple
prise cinq jours plus tard à Neuchâtel,
accompagnée du
commentaire «fiançailles» entre
guillemets. Les
jeunes gens sont
bronzés, décontractés, heureux. Cette
date
mémorable est encore
rappelée deux fois dans l’agenda de 1935: au 14
avril ("il y a 8 mois") et à la
page du 14 août ("anniversaire des
fiançailles"). C'est dans cette même ville de
Neuchâtel, propice aux amours, qu'un
siècle auparavant
Balzac et Eve Hanska
se rencontraient pour la première fois...
Que
se passe-t-il en ce beau mois d'août? Contrairement
à
ce qu'on pourrait croire Jean et Jeanne ne sont pas seuls pour un
voyage d'amoureux, mais avec une trentaine de jeunes adultes
idéalistes. Ils séjournent dans une ancienne
maison de maître à La
Brocarderie,
un pittoresque hameau près de Valangin, non loin
du lac de Neuchâtel. La demeure qui a
traversé depuis - inchangée
-
les années, faisait partie du domaine
démembré du château
des Montmollin
qui constitue
toujours le centre du hameau. Chez les Montmollin la
carrière
des armes était une tradition et la famille s'est
illustrée dans le "service étranger". Ainsi
Georges de
Montmollin, jeune enseigne de 23 ans, a fait partie des Gardes-Suisses
massacrés lors de l'assaut des Tuileries du 10
août 1792.
Moins glorieusement un Montmollin, pasteur à
Môtiers dans le Val-Travers, s'est fait connaître
comme persécuteur de J-J Rousseau,
réfugié dans cette commune. Le château
de La Brocarderie a
été
mêlé une dernière fois à
l'histoire
helvétique quand en 1856 une conspiration
contre-révolutionnaire y a été ourdie
avec la
participation du capitaine d'artillerie Auguste de Montmollin. La
conjuration a avorté piteusement et depuis l'endroit est un
havre de paix.
C'est
précisément dans cette retraite bucolique qu' Etienne
Bach,
propriétaire de la maison depuis 1928, a installé
le
quartier général des
Chevaliers de la
Paix, le mouvement qu'il a
fondé en 1923.
Cet ancien lieutenant en fonction dans l'armée
française d'occupation
de la Ruhr avait acquis la conviction d'une possible
réconciliation des peuples sur la base des principes du
christianisme. La
Brocarderie restera le centre névralgique du mouvement
jusqu'à ce qu' E. Bach en abandonne la présidence
pour devenir pasteur en 1937. Entre-temps il y organise avec son
épouse des rencontres et séminaires
auxquels sont
conviés les jeunes volontaires de tous pays.
Etant donné l'orientation chrétienne,
et plus spécifiquement protestante, de ce
mouvement pacifiste, c'est certainement par l'UCJG que Jean et
Jeanne
en ont eu connaissance et ont été
amenés à
participer à une sorte de séminaire aux
champs qui
s'étend sur la plus grande partie du mois d'août 1934.
On s'y active pour la promotion de la paix: ainsi un
jour toute la troupe marche dans un joyeux désordre
à
travers la campagne, drapeau en tête, jusqu'au village voisin
de
Lignières, où E. Bach prononce une allocution
devant
l'"hôtel de commune". L'engagement est sympathique, mais
pendant ce temps les "chevaliers de la guerre", les Jeunesses
Hitlériennes, défilent avec une allure autrement
plus
martiale. Les conditions de vie sont simples: les filles se
partagent les corvées d'épluchage et de vaisselle;
les
garçons - dont un quarteron de gais lurons belges au
crâne
rasé - participent aux repas pris à une grande
table
dans la cour. Le plaisir de la villégiature semble avoir
pris le
pas sur les discussions idéologiques. Quelques-uns des amis
intimes sont là: Ch. Buchi, Ch. Daske, J. Haas qui posent
devant
"notre" auto, une luxueuse décapotable à la Gatsby. Plus
prosaïquement c'est à pied qu'on explore les
environs: le
Creux du Van, le Val de Ruz, le Chasseral. Comment aussi
résister à la tentation des petites plages qui bordent le
lac par cette canicule? La relation des "fiancés" s'inscrit
donc
dans cette atmosphère joyeuse de camaraderie et
d'idéalisme juvénil.
"notre" auto ( Jeanne, Ch. Daske, J.
Haas, Ch. Buchi)
La véritable cérémonie des
fiançailles
officielles avec faire-part n’a eu lieu, en fait, que le 30 septembre 1934,
dans l’appartement du 75
rue de l’Espérance
au milieu des bouquets qui encombrent le couloir. L’occasion
est plus
solennelle et les fiancés se sont habillés en
conséquence. Entre-temps,
vers la fin août, Jeanne a entrepris un nouveau voyage de
quelques
jours en Suisse, en compagnie cette fois de son amie d’Ecole
Normale
Jacqueline Haas, dont on reconnaît la signature sur une carte
de
Zurich. Cette tournée conduit les
«chevalières errantes», comme elles
se qualifient, sous la pluie à Berne, Interlaken, et retour
par Brienz,
Lucerne et Zurich.
A
noter que Jeanne vouvoie encore son «cher
Hansi».