ancetre1.htmlducoteobrecht.html  












 
    



              

 

    















               
                     

Les ancêtres / A l’aube du souvenir / Les Schray et Stoll / Hans et Anna /
Jean et les autres
/

1 > 2 > 3 > 4


Où Hans part défendre la patrie

C’est peut-être pour échapper quelque temps à ce travail exténuant, mais encore plus sûrement poussé par des sentiments patriotiques qui ne se démentiront jamais, que Hans s’engagera en août 1914, quoique habitant l’Allemagne (Mulhouse) et déjà père de quatre enfants, pour l’«occupation des frontières» (helvétiques!). Bientôt des cartes arrivent de Pleigne et Develier (à l'époque incluses dans le Jura bernois) en faisant un détour par la censure militaire de Stuttgart. A la fois proche et loin de Mulhouse, Hans y laisse poindre ses regrets et sa nostalgie du foyer. Il demande en particulier pardon à son épouse pour cette équipée patriotique et désire qu’elle lui envoie une photographie d’elle. Ses regrets sont d’autant plus vifs qu’il est cantonné dans le froid du Jura et non au Tessin comme il l’espérait. Il subsiste un portrait de groupe le montrant avec les camarades de son bataillon sur la place d’un village. Ces localités, Develier et Pleigne, alors de pauvres bourgades, se sont considérablement transformées en un siècle et sont aujourd'hui à peine reconnaissables.


     D’après le livret militaire, cette escapade guerrière durera 82 jours, du 3 août au 28 octobre 1914. Hans s’inquiète aussi pour sa famille en entendant le canon tonner dans les Vosges au-dessus de Mulhouse. Francophile, il se passionnera pour la Grande Guerre et, en particulier, pour les combats du Vieil-Armand qu’il observe de loin depuis la plaine d’Alsace. Il visitera volontiers par la suite les vestiges de ce champ de bataille et on garde de lui une pochette de cartes postales montrant les restes des positions allemandes et françaises à la fin de la guerre sur les flancs de la montagne déchiquetée. Dans le même esprit il conservera chez lui en bonne place une gravure patriotique représentant L'oiseau de France. Cet engagement aux frontières sera sa dernière participation au service armé, mais il continuera à payer la taxe suisse d’exemption des périodes militaires jusqu’en 1927, date de ses 40 ans.

 

Pleigne

   A ce propos la lecture attentive du livret militaire pose un petit problème d’interprétation. En septembre 1918 la taxe, qui est régulièrement acquittée auprès du «Kreiskommando» de Thun dont dépend militairement la commune d’Oppligen, a été réglée à Berlin, comme l’indique le visa de l’ambassade de Suisse de cette ville. On a pu envisager un voyage, voire un séjour dans la capitale du Reich, d’autant plus que les pages prévues pour noter les changements de domicile signalent, en août 1919, un départ de Berlin et une arrivée à Mulhouse. Un tel séjour aurait cependant laissé des traces dans la mémoire familiale, même compte tenu de la discrétion de Hans. L’explication est en fait purement administrative. Vers la fin de la guerre, les communications avec la Suisse devenant difficiles, les intéressés ont été invités à expédier paiement et livret à Berlin auprès de l’ambassade helvétique, qui enregistre effectivement la taxe annuelle le 12 septembre 1918 et prolonge l’exemption de douze mois. En 1919 la responsabilité du suivi du livret est transférée au consulat de Suisse de Mulhouse, qui dorénavant encaissera la taxe. C’est ce transfert de responsabilité qui est organisé administrativement par un changement d’adresse fictif. Le 27 août 1919, Hans est censé quitter Berlin, un départ officialisé par le consulat de Mulhouse qui agit par procuration («p. Légation Berlin»). Il est censé arriver le 28 à Mulhouse où le même consulat l’enregistre. Il s’agit d’un voyage fantôme organisé par l’administration consulaire et non d’une quelconque aventure berlinoise. La figure de Hans y perd en romantisme, mais y gagne en solidité.

    Neurasthénique de tempérament (sa femme le surnommait Jérémie), il se plaindra toujours de ce travail, à vrai dire épuisant. Sur une vieille enveloppe, à en-tête de la laiterie de son père, il transcrit ses plaintes en 1923 de sa grande écriture en majuscules d’imprimerie: «En pleine action tout le monde au boulot tous les jours du matin au soir 365 jours par an sans un jour de repos». En 1974 encore, il fait allusion dans une lettre à «cette terrible laiterie». Par contraste avec sa vie de forçat il avait tendance à dénigrer les fonctionnaires, oisifs et "grassement payés", en particulier les enseignants qu'il qualifiait de "Brotfresser" [bouffeurs de pain] par un jeu de mot sur "professeur".

    Quand il peut s’échapper pour une excursion à Bâle ou dans les Vosges, ce sont de courts instants de bonheur. Sur une carte adressée à Anna depuis Ammerschwihr, en septembre 1928, il fait preuve d’un enthousiasme tout à fait exceptionnel: «Ma chérie, Oh que le vin est bon ici et la vie joyeuse dans ce pays pittoresque». L’influence du bon vin sur ce tempérament ordinairement sobre n’est sans doute pas étranger à cette envolée lyrique. Un bon souvenir encore, quoique plus ancien: une course de voitures vers 1910 dans la ligne droite de Sainte-Croix en Plaine où il aperçoit en uniformes de gala et robes d’apparat les altesses de l’Empire wilhelminien.

     En 1937 il est victime d’une véritable dépression nerveuse, qui inquiète d’autant plus qu’on pense, sans en parler, à cet oncle qui portait le même prénom que lui et qui est mort à l’asile. Psychiquement il ne supporte plus la fatigue accumulée. A la suite de cette alerte, le fonds de commerce est revendu à un Suisse de confession mennonite, Mosimann, qui outre son métier de laitier était aussi artiste peintre à ses heures. Il vit désormais de ses économies, placées dans l’immobilier selon l’usage des commerçants de l’époque. Il possède en effet deux maisons, aux 6 et 8 rue de la 4e D.M.M. à Mulhouse, près de l’école Koechlin, et le 19 rue du Paradis, une petite maison à Saint-Louis. Cette maison, recueillie en héritage par ses enfants Jean et Xénia, sera revendue par eux en février 1979 au prix de 80.000 F. Ces biens immobiliers rapportent plus de soucis que de revenus, surtout après la guerre et le blocage des loyers. Il devait posséder également un jardin rue de la Hardt. A partir du 1er octobre 1952, il touchera les allocations de la CRICI (Caisse Régionale Interprofessionnelle du Commerce et de l’Industrie) et, à partir du 1er janvier 1953, les allocations de l’assurance vieillesse suisse (AVS). Son fils Robert, et plus rarement Jean, le soutiendront financièrement par l’envoi de mandats. Ces versements sont notés, avec les événements familiaux, dans un Carnet de notices tenu du 15 mai 1962, à 3 h 30 (décès d’Anna au Diaconat), au 26 avril 1976. Hans y révèle tout son caractère inquiet et sensible.

L'oiseau de France






















































Hans en 1930