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 1er R.E.: salle d'honneur

 


 



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Jean et les autres
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Tiens v'la du boudin ou Hans le légionnaire

Quelque trois semaines après le retour de cette belle équipée c’est la catastrophe imprévue: la mort soudaine du père de Hans en juillet 1905. Alors s’ouvre une période trouble pour le jeune homme, perturbé par ce décès et, sans aucun doute, aussi par la place grandissante occupée par le commis de la laiterie, Karl Joseph Fuchs. Toujours est-il qu’il s’engage sur un coup de tête dans la Légion Etrangère, le refuge des jeunes gens en révolte ou voulant rompre avec leur passé. Il a dû suivre la filière classique par Marseille, où se trouvait le bureau de recrutement du Fort Saint-Nicolas, puis Oran et, par le train, Sidi-bel-Abbès, la destination de tous les nouveaux engagés. Là, les recrues étaient accueillies à la gare et accompagnées en fanfare jusqu’au Quartier Viénot sur l’air de «Tiens v’la du boudin…». D’après un document ultérieur il a été enregistré sous le matricule 17909, 1er Régiment Étranger, CI.2. Vérification faite au SHAT (Service historique de l’armée de terre, au château de Vincennes), ce numéro correspond bien aux engagements enregistrés entre le 25 août et le 2 septembre 1905 – donc dans la période suivant immédiatement son 18e anniversaire.
Les recherches dans les archives militaires n’ont toutefois pas apporté les éclaircissements espérés, le matricule correspondant à un autre nom (Angel Quintina) qui pourrait être un pseudonyme, comme souvent lors des engagements à la Légion. Par ailleurs la page d’immatriculation est blanche et renvoie à un autre numéro de dossier qui n'a pas été retrouvé. Il est inconnu également aux archives des anciens de la Légion à Aubagne, comme si les traces de son passage avaient été effacées. Cet homme avait ses secrets.

     Sur cette aventure il est resté muet, ne relatant qu’un seul bon souvenir: Carmen de Bizet, joué par l’orchestre de la Légion à Sidi-Bel-Abbès; les airs de cet opéra resteront parmi ses préférés. Il lui restera aussi une nostalgie du climat du Sud algérien, surtout par les jours sombres d’hiver quand, affligé d’une bronchite chronique, il pestait contre les brouillards glacés de la plaine d’Alsace («Soiwatter»). Une carte, envoyée de Cao-Bang (Tonkin) par un «Kamerade Hagmann», viendra rappeler plus tard cette période mouvementée de l’existence de Hans.

    Entre-temps, choqué par les moeurs brutales de la Légion, la saleté ambiante (le cuisinier allemand crachait dans la soupe, au dire de sa fille à qui il avait confié ce détail), et en proie au mal du pays, il n’aura pas tardé à déserter dans des circonstances qu’il n’a jamais évoquées. Combien de temps est-il resté à la Légion? Certainement moins d’un an. Le 13 février 1906 une carte postale, expédiée d’Oran, parvient à Mulhouse. Elle ne comporte pas de texte, juste une inscription sibylline au bas de la vue représentant la caserne de la Légion à Saïda: «Hans später mehr» [Hans nouvelles suivent]; elle pourrait déjà annoncer la désertion, ou du moins ses préparatifs. En tout cas, par son livret militaire suisse (Dienstbüchlein) nous apprenons que, dès le 21 août 1906, il est à Bâle où il est déclaré bon pour le service. Le même livret nous informe accessoirement que sa taille est de 171,5 cm, son tour de poitrine de 90 cm et son biceps de 26 cm. 

    Cependant, cette escapade aura encore des suites quinze ans plus tard. En 1921, l'Alsace étant devenue française, il est dénoncé aux autorités (il soupçonne un voisin) et il est poursuivi et arrêté pour désertion. Détenu à la prison militaire d'Oran (matricule 1912) où il est employé comme infirmier, il sympathise avec les chefs indigènes, enfermés pour rébellion, qui partagent avec lui les victuailles apportées par leurs familles. Le 20 décembre 1921, trois de ses enfants - Jean, Robert, Xénia - lui envoient chacun une carte de Noël (celle de son fils Paul s’est perdue?). Après un an et demi il est finalement gracié en tant que père de famille sur intervention du sénateur du Haut-Rhin Sébastien Gégauff (1862-1935). Ce dernier, agriculteur et maire de Wittenheim, avait été l'un des producteurs auprès desquels Hans se fournissait en lait. Il a aussi été défendu gratuitement par un avocat, Maître Dreyfus. Auparavant, il a été transféré d’Oran à Sidi-Bel-Abbès où une photo le montre barbu, en guêtres, dolman et bonnet de police, "avant ma libération". Le 20 février 1922, une lettre du consulat de Suisse d’Alger annonce au prisonnier que le Ministre de la Guerre a donné des instructions pour sa prochaine libération. Il s’agit d’«une mesure exceptionnelle de bienveillance», prise «en raison de votre situation intéressante» (il est père de quatre enfants). C’est grâce à cette lettre que l’on connaît son matricule d’engagement dans la Légion. Le même jour le consulat suisse de Mulhouse, qu'on a dû faire intervenir aussi, écrit à son épouse pour confirmer la libération définitive. C'est peut-être en fonction des services rendus par le consul qu'il prend l'initiative, en novembre 1922, de faire inscrire sa fille Xénia, déjà âgée de 7 ans, dans le registre de citoyenneté d'Oppligen.

     

 
































Sebastien Gegauff